Il y a ceux qui pensent que les musées de province sommeillent. Et il y a les autres qui savent que ces institutions jouent aujourd’hui certaines des partitions les plus intéressantes.
Le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne est de celles-là, où Lóránd Hegyi, son directeur, interprète actuellement une musique triplement risquée. Risquée, d’abord, car son exposition se concentre exclusivement sur le dessin. Or, si ce média connaît un intérêt croissant que ne démentent pas les salons spécialisés, il n’est cependant pas le plus prompt à séduire le plus large public. Risquée, ensuite, parce que le musée ne présente aucun des noms connus du grand public (les Picasso, Léger et consorts habituellement collés aux sous-titres) pour se focaliser sur la scène contemporaine. Ainsi les dessinateurs les plus « populaires » sont-ils Jan Fabre et Erik Dietman. Risquée, enfin, car l’institution stéphanoise a placé son accrochage sous un titre emprunté à Edmund Burke, certes très beau mais peu explicite : « Intrigantes incertitudes ». Explication : « La fonction véritable de l’artiste [est de] révéler les réalités cachées, exacerber et libérer l’imagination de manière à capter les “énergies souterraines” », explique Lóránd Hegyi, qui se place donc sous l’autorité d’Hannah Arendt – « Le dernier individu à demeurer dans une société de masse semble être l’artiste » – pour se mettre en quête de sonder les ventres – et leurs « puissantes pulsions » – des créateurs actuels. Dans un accrochage linéaire, sans chronologie ni thématique, le résultat se montre enivrant, ivresse accentuée par le grand nombre d’artistes (quarante-deux). Hegyi parvient en effet à dégager une esthétique très fin de siècle dont les racines sont à chercher du côté de l’art fantastique ou visionnaire, brillamment représenté par Didier Trenet. Comment ne pas penser, en effet, à Ensor devant le Tebeas Heim (1977) de Günter Brus et à Redon devant les papillons de la série Splendeur et désolation (2012) de Christian Lhopital ? Et comment ne pas déceler la solitude de Puvis de Chavannes chez Peter Martensen ou la noirceur de Vallotton dans les saynètes au stylo à bille de Jan Fabre ? Les artistes, en tout cas ceux qui s’expriment avec un crayon, semblent bien torturés. Par quoi ? Par ces « temps chaotiques et déstabilisants » que nous traversons actuellement, magnifiquement vomis dans les aquarelles de Barthélémy Toguo et d’Oda Jaune, et dans lesquels les artistes semblent faire acte de « résistance », dit en substance Hegyi. Voilà pour les « Intrigantes incertitudes ». Une résistance autant intellectuelle qu’artistique, cette exposition réussissant à travers le dessin à rendre épidermiques les grands conceptuels, comme Dennis Oppenheim…
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Artistes torturés pour esthétique fin de siècle
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Abonnez-vous dès 1 €Musée d’art moderne et contemporain, La Terrasse, Saint-Étienne Métropole (42), www.mam-st-etienne.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°690 du 1 mai 2016, avec le titre suivant : Artistes torturés pour esthétique fin de siècle