Résultat des nouvelles orientations impulsées par sa nouvelle directrice, la Fondation Giacometti présente deux rétrospectives majeures en Chine et au Maroc. Entretien…
Un espace de 3 000 m2 occupé par 250 œuvres : la rétrospective Giacometti au Yuz Museum à Shanghai est-elle la plus grande exposition jamais organisée ?
Catherine Grenier C’est sans doute l’une des plus grandes expositions jamais réalisées. La qualité d’une exposition ne vaut pas par sa taille, mais le fait qu’elle soit si grande a permis de développer l’œuvre avec plus d’amplitude et d’ambition. Le parcours en douze sections aborde ainsi toutes les périodes de Giacometti, de 1917 à 1966.
Il s’agit de la première expo Giacometti en Chine. Parallèlement, la rétrospective que vous organisez au Maroc est aussi la première exposition de l’artiste sur le continent africain. Cela semble difficile à croire…
Giacometti a déjà été montré au Japon, où il est apprécié depuis longtemps. En revanche, en Chine et dans le reste de l’Asie, il ne l’a jamais été. Pourquoi ? Parce que ces pays n’ont, pendant longtemps, pas eu d’équipements qui permettaient de programmer de telles expositions, ouvertes à l’art occidental. Giacometti n’est pas le seul maître de la modernité à n’avoir pas été montré dans une grande partie de l’Asie. Les grandes rétrospectives scientifiques d’artistes modernes se comptent sur les doigts d’une main. Même chose en Afrique…
Giacometti est-il connu sur ces deux continents ?
Beaucoup de Chinois ne savent pas qui il est. Dans les milieux cultivés et artistiques, il est connu, oui, parce qu’il a été enseigné par certains professeurs dans les écoles de beaux-arts. C’est d’ailleurs pourquoi le Yuz Museum a demandé à cinquante artistes chinois, traditionnels ou contemporains, ce qu’ils pensent de Giacometti. Leurs avis sont très intéressants. Ils apprécient l’artiste pour des raisons chaque fois différentes : pour son œuvre, pour la vision de l’artiste qu’il incarne, pour la figure proche des intellectuels, pour son atelier… Car il y a un mythe de l’atelier de Giacometti, qui fut à la fois un lieu de création et de rencontres, où tous les grands intellectuels et artistes du XXe siècle sont passés.
Ces deux expositions sont-elles comparables ?
Notre propos n’est pas de faire partout la même exposition, mais d’adapter ces expositions au lieu et au contexte qui les accueillent. Au Yuz Museum, Adrien Gardère [le scénographe du Louvre-Lens, ndlr] a réalisé un travail admirable sur la façon de montrer les œuvres, de les relier entre elles, etc. À Shanghai, nous étions conscients d’aller vers un public qui, en grande majorité, ne connaissait pas Giacometti, ou qui n’avait jamais vu d’œuvres originales : il était donc important de les rendre « accessibles » au spectateur. Un autre point important était de faire un déroulé pédagogique, tout en développant au sein du parcours des thématiques : l’obsession des têtes, sa relation avec Beckett, etc. Au Maroc, l’exposition s’adresse en revanche à un public qui connaît mieux Giacometti. C’est pourquoi une très large partie est consacrée à la relation de Giacometti avec la sculpture africaine et l’Égypte.
De quoi ces deux premières expositions sont-elles le résultat ?
Elles sont le résultat de la nouvelle ligne de la Fondation, celle que j’ai proposée lorsque je suis arrivée en tant que directrice. Auparavant, j’ai travaillé au Centre Pompidou sur la mondialisation et sur une réécriture de l’histoire de l’art qui soit globale, plurielle ; j’avais donc des contacts sur les différents continents. Je pense qu’il faut montrer les artistes modernes occidentaux dans tous les pays du monde, partout où il y a de nouvelles structures suffisamment équipées pour accueillir ces artistes. C’est important pour eux et pour la France, qui ne développe pas assez ses relations internationales. Nous devons être les partenaires de ces nouveaux lieux qui se développent, sur le plan artistique et de l’échange des compétences. Il est capital d’être avec ces musées qui n’ont ni nos connaissances ni nos collections, mais qui sont portés par un dynamisme incroyable, des volontés politiques ou des initiatives privées, par l’enthousiasme des artistes et qui veulent créer de nouveaux modèles. Et aussi parce que nous avons besoin de nous remettre en cause, de renouveler nos structures vieillissantes. La question n’est pas d’envoyer Giacometti en Chine ou au Maroc, mais de nous enrichir à travers des expériences acquises auprès de nouveaux partenaires. C’est l’avenir que nous dessinons ici.
Louez-vous vos expositions en France et à l’étranger pour financer la Fondation ?
Nous ne louons pas les œuvres ; c’est contraire à la déontologie. Nous sommes aussi prêteurs dans le cadre d’expositions que nous n’organisons pas, et nous respectons la règle de l’Icom. Cette pratique qui consiste à mettre un coût de location sur une œuvre est préjudiciable, car, à terme, seuls les musées riches pourront organiser de grandes expositions. En revanche, dans le cadre des expositions basées sur notre collection et que nous organisons, la Fondation facture le commissariat et le suivi de projet, y compris l’encadrement, la restauration, la régie, le suivi du catalogue, les outils pédagogiques proposés aux publics, etc. Nous ne touchons pas de tickets d’entrée ni de subventions publiques, il nous faut donc trouver des sources de financement pour faire vivre la Fondation.
La Fondation peut-elle vendre les œuvres qu’elle conserve ?
Elle le peut, oui. Mais je ne suis pas pour le développer. Nous vendons à peu près deux œuvres par an, à travers les galeries Mennour et Gagosian qui représentent l’Estate. Mais si nous vendons nos œuvres, nous nous privons de la matière première de nos expositions. Si nous pouvons programmer deux rétrospectives simultanément, à Shanghai et à Rabat, c’est que nous possédons des multiples qu’il nous faut conserver.
Vous avez annoncé la création d’un institut Giacometti, de quoi s’agit-il ?
Nous mettons en place un nouvel outil, qui ne sera pas un Musée Giacometti, mais un institut. Il ouvrira l’an prochain à Montparnasse, près de la Fondation Cartier, et sera un lieu dédié à l’exposition, à la recherche et à l’éducation. Il s’agit d’un ancien atelier d’artiste, ce que nous cherchions. Ce n’est pas un grand espace, mais un lieu dans lequel nous aurons des expositions, une bibliothèque de référence sur l’art moderne, nos archives et un cabinet d’art graphique. Par ailleurs, nous installerons une reconstitution de l’atelier de Giacometti sur le modèle de la reconstitution de l’atelier de Brancusi, car nous avons dans notre collection toutes les œuvres qui étaient dans l’atelier au moment de la disparition de l’artiste, ainsi que le mobilier et les murs – les murs qui ont été démontés par sa veuve et par Michel Leiris. Le Centre Pompidou va nous aider dans cette démarche par la mise en dépôt d’œuvres qui étaient dans l’atelier.
Comment la recherche sur Giacometti se porte-t-elle ?
L’art moderne chez les jeunes universitaires ou les jeunes conservateurs n’a plus la place qu’il avait auparavant. L’art contemporain est devenu leur objectif principal : les jeunes pensent qu’ils trouveront plus de travail en se spécialisant dans le contemporain. Résultat : les spécialistes en art moderne sont désormais inférieurs en nombre aux spécialistes en art contemporain. Il n’y a par exemple pas de thèse d’histoire de l’art en cours sur Giacometti, alors que nous disposons d’un fonds d’archives dont une partie reste encore inexploitée.
Avez-vous dû chercher des fonds particuliers pour cet institut ?
Ce projet est inclus au programme général de la Fondation, nous travaillons donc à enveloppe constante. Il s’agit davantage d’une réorientation et diversification des missions des membres de l’équipe. Nous ne sommes pas une fondation riche, nous n’avons pas de subvention de l’État. C’est un sujet qu’il va d’ailleurs falloir reprendre un jour : les fondations sont quasiment les seuls équipements culturels qui, en France, conservent des collections patrimoniales majeures, mais qui, à la différence des musées et des associations, ne reçoivent pas de subvention de l’État. Avec les crises qui se sont succédé et l’augmentation des frais (de stockage, d’assurances, etc.), il est bien évident que les dispositifs inventés avant les années 1970 et leur système de dotations financières censé garantir la pérennité des fondations ne suffisent plus à alimenter nos besoins actuels. Un nouveau mode de fonctionnement est à réinventer.
Entre les expositions au Maroc et en Chine, la Fondation prête près de 350 œuvres. Votre collection le permet-elle ?
Au Yuz Museum et au Musée Mohammed VI, nous prêtons à la fois des sculptures, des peintures et des dessins. Notre chance réside dans le fait que Giacometti était un sculpteur, et que nous possédons un certain nombre d’éditions d’une même œuvre. Quoi qu’il en soit, avec 250 sculptures, 80 peintures, 2 000 dessins et au moins autant de gravures…, la collection de la Fondation Giacometti est riche en œuvres.
Le MuCEM rend hommage à l’écrivain Jean Genet, disparu il y a trente ans. Giacometti, le seul artiste que Genet ait jamais admiré, est tout naturellement présent dans cette exposition. L’Homme qui marche II (1960) est notamment placé au centre de la présentation, distribuant les trois salles thématiques qui invitent à suivre le chemin de l’écrivain. La sculpture voisine avec le Portrait de Jean Genet réalisé par l’artiste en 1954-1955, et un dessin au crayon de l’homme de lettres. Le 5 mai, Une rencontre autour des liens qui unissent Genet et Giacometti est programmée au fort Saint-Jean, avec Albert Dichy (directeur littéraire à l’Imec et commissaire de l’exposition) et Thierry Dufrêne, historien de l’art, spécialiste de l’artiste.
« Jean Genet, l’échappée belle », jusqu’au 18 juillet 2016. MuCEM, Marseille (13). Tarifs : 9,5 et 5 €. Commissaires : Albert Dichy et Emmanuelle Lambert. www.mucem.org
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Le jour où la chine a découvert Giacometti
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Abonnez-vous dès 1 €« Rétrospective Alberto Giacometti »
Jusqu’au 31 juillet 2016. Yuz Museum, n° 35 Fenggu Road,Shanghai (Chine). Commissaires : Catherine Grenier et Christian Alandete. www.yuzmshanghai.org
« Rétrospective Giacometti »
Jusqu’au 4 septembre 2016. Musée Mohamed VI, d’art moderne et contemporain, avenue Moulay Hassan, Rabat (Maroc). Commissaires : Catherine Grenier et Serena Bucalo-Messely. www.museemohammed6.ma
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°690 du 1 mai 2016, avec le titre suivant : Le jour où la chine a découvert Giacometti