Que ce soit dans un monologue fictif ou dans la transcription d’une rencontre réelle, Louise Bourgeois apparaît toujours bien vivante.
À travers ces deux textes qui rendent hommage à la sculptrice disparue en 2010, elle est un flot continu de vie, un personnage rationnel et précis, parfois agacée, pétrie d’obsessions qui reviennent de manière récurrente dans les récits et toujours en action, au travail, qui ne s’embarrasse pas du quotidien, des petits arrangements, des faux-semblants. Franche et directe. On aimerait l’avoir rencontrée, ce que nous avons l’impression d’avoir fait une fois les livres refermés. Les deux auteurs, eux, ont eu cette chance. Jean Frémon, écrivain et président de la Galerie Lelong à Paris et à New York, imagine un monologue intérieur, comme on se parlerait à soi-même (Calme-toi, Lison, P.O.L, 118 p., 9 €). Louise Bourgeois est seule par un temps caniculaire à New York, où elle vit depuis 1938 et son mariage avec l’historien d’art Robert Goldwater. Elle s’emporte contre elle-même d’avoir délaissé la France (tout en sculptant ses petits totems faits de bâtons de bois sans socle qui ne tiennent pas debout pour conjurer l’absence) et ses proches, contre son père volage et autoritaire, contre sa mère qui feignait le bonheur familial, celle qu’elle voit comme l’araignée. Les photographies anciennes reviennent dans les deux récits comme un artifice d’écriture pour pénétrer les souvenirs et raconter le passé de la sculptrice. Mais, attention, pas le souvenir nostalgique, plutôt celui dont elle se débarrasse en travaillant le bois, le latex, etc. Elle s’emporte aussi contre Marcel Duchamp et Brancusi. « Calme-toi, Lison, voilà que tu t’échauffes […]. C’est qu’ils sont énervants à la fin ces deux-là […] ! Vous êtes encore là ? Mon pauvre ami, ouvrez les yeux ! Ils ont passé l’arme à gauche depuis belle lurette, ces deux-là, et pourtant ils occupent encore le terrain. Étant donné ceci, étant donné cela, blablabla, ils vous font la leçon. » Les mêmes mots jaillissent dans l’un, « Il faut toujours qu’ils pontifient ! » comme dans l’autre texte, celui de Xavier Girard, alors jeune critique d’art qui rencontre l’artiste chez elle un jour de 1982. « Comme Louis Bourgeois (son père), comme André Breton, ils ne peuvent pas s’empêcher de pontifier ! » (Louise Bourgeois. Face à face, Seuil, 144 p., 16 €). Le premier est plein de l’humour noir et de l’ironie d’une Louise Bourgeois qui se parle à elle-même, le second est à distance, celle d’un visiteur qui pénètre son intimité à elle. Ils composent finalement les deux faces du même personnage. « Si vous croyez que je vais répondre à toutes vos questions », pourrait-elle leur lancer.
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Louise Bourgeois, intérieure-extérieure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°687 du 1 février 2016, avec le titre suivant : Louise Bourgeois, intérieure-extérieure