La peinture animée

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 18 janvier 2016 - 713 mots

Le cinéma n’avait pas encore vingt ans que Fernand Léger avait fait le premier film entièrement conçu et réalisé par un peintre, Le Ballet mécanique (1924).

Passionné par ce nouveau mode, l’artiste avait publié un article deux ans auparavant le haussant « au rang des arts plastiques » et argumentant que « la raison d’être du cinéma, la seule, c’est l’image projetée ». Revendiquant avoir fait « le premier film sans scénario », Léger a précisé d’emblée son intention : « J’ai pris des objets très usuels que j’ai transposés à l’écran en leur donnant une mobilité et un rythme très voulus et très calculés. Contraster les objets, des passages lents et rapides, des repos, des intensités, tout le film est construit là-dessus. » Tourné évidemment en noir et blanc, on ne peut que l’entendre comme s’il parlait de peinture animée.  Quand, deux ans plus tard, Marcel Duchamp qui ne veut pas être en reste réalise à son tour Anémic Cinéma, il œuvre aux mêmes fins plastiques à l’appui de ses machines optiques visant à interroger nos capacités perceptuelles. Les disques optiques, qu’il fait alterner de phrases inscrites en spirale et activées par des jeux de mots, homophonies, contrepèteries, etc., développent un mouvement spiralé qui donne tantôt une impression de profondeur, tantôt une impression de relief. Ce faisant, Léger et Duchamp inaugurent toute une production d’images en mouvement dont la fortune critique s’est avérée considérable, d’autant que le développement des moyens techniques n’a fait qu’entraîner les artistes à en explorer toujours plus avant les possibilités plastiques. De simples bandes tout d’abord diffusées sur moniteur aux images projetées en haute définition à l’échelle architecturale des lieux de leur monstration, la production vidéo est passée par toutes sortes d’étapes techniques et technologiques qui en ont fait le vecteur par excellence du monde contemporain. Produit d’un subtil mélange entre photographie et cinéma, elle est à l’unisson d’une société consumériste d’images, comme la peinture a pu l’être en d’autres temps. Les rapports de temporalité et de spatialité qu’instruit la vidéo opèrent de la même façon au regard de la question d’un être au monde posée par la peinture ; ils sont simplement facilités et amplifiés du fait de la multiplicité et de la rapidité des possibilités de communication que l’homme aujourd’hui s’est données. Il en résulte une production extrêmement riche et variée qui ne manque pas pareillement de l’interpeller, de l’interroger, voire de le bousculer en ses fondements.

Miguel Chevalier
Curieux de toutes les investigations relatives à l’idée de mouvement, de lumière et de couleur, impatient de toutes les possibilités visuelles et formelles déduites de l’usage des technologies de pointe, l’art de Miguel Chevalier (né à Mexico en 1959) est requis par le merveilleux. Ses projections nous invitent à pénétrer dans un monde immatériel et factice, voire à y intervenir pour en moduler les images. À grand renfort de bits, de pixels, de réseaux, de transits et autres liens subtils, l’artiste agit en grand ordonnateur d’improbables opéras plastiques. Au croisement d’une réalité virtuelle interactive et d’une poésie universelle.

Yang Yongliang
À l’image d’une peinture chinoise ancienne au motif de paysages rocheux, Yang Yongliang (né à Shanghai en 1980) substitue une nouvelle esthétique prenant en compte l’essor des technologies de son temps. De la sorte, il mêle la puissante tranquillité de ceux-ci au développement accéléré de la Chine. Fondateur d’un studio d’animation et de publicité avant d’être artiste, Yongliang construit ses images en combinant photographie, lavis et vidéo et en accumulant les signes industriels contemporains jusqu’à former le motif désiré. Seul, un regard qui s’attarde découvre que tel pic n’est en fait composé que de l’entassement d’une multitude d’immeubles.

Samuel Rousseau
Des paysages de montagnes parcourus en tous sens par des marcheurs, des flacons en feu composant d’étonnantes natures mortes, un arbre qui traverse les quatre saisons le temps accéléré d’une projection, une bougie dont la flamme vacille au rappel du thème de la vanité, etc. : les œuvres de Samuel Rousseau (né en 1971) en appellent à tout un dispositif complexe qui se joue du réel, de la vraisemblance et de l’illusion. S’il dit ne pas avoir choisi la vidéo comme moyen d’expression, c’est qu’il est un artiste de son époque et qu’il s’exprime avec les outils de celle-ci. Pour être dans le monde, ici et maintenant.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°687 du 1 février 2016, avec le titre suivant : La peinture animée

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