Italie - Ventes aux enchères

Les vraies raisons du succès des ventes d’art italien

Par Éléonore Thery · L'ŒIL

Le 15 décembre 2015 - 719 mots

L’art transalpin de l’après-guerre connaît un engouement sans précédent. Ce marché à plusieurs vitesses se développe hors d’Italie, notamment en raison de la législation.

En octobre 2015 à Londres, Sotheby’s annonçait un record établi à 21,4 millions d’euros pour l’une des Fine di Dio deLucio Fontana. Moins d’un mois plus tard, Christie’s annonçait à New York un nouveau record à 24 millions d’euros pour une autre de ses toiles ovoïdes. Le créateur des monochromes lacérés est aujourd’hui la figure de proue d’un succès mondial pour l’art italien d’après-guerre. Les grandes maisons de ventes ont ainsi multiplié par plus de huit les résultats de leurs italian sales (« ventes italiennes »), organisées à Londres dès 1999 pour Sotheby’s et en 2000 pour Christie’s. Ce sont les musées qui, les premiers, ont mis en lumière les artistes transalpins, à l’instar du Guggenheim de New York qui présentait dès 1994 « Italian Metamorphosis, 1943-1968 ».
Aujourd’hui, les expositions fleurissent. Depuis 2014, ont ainsi été montrés Fontana au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, le groupe Azimuth au Guggenheim de Venise, Alberto Burri au Guggenheim de New York, Fausto Melotti au Musée national de Monaco, etc. Parallèlement, les artistes de la Botte sont de plus en plus présents dans les galeries et, a fortiori, les foires. Aux acteurs italiens spécialisés sur les artistes du pays, comme la Galerie Tornabuoni, se mêlent des galeries exposant des créateurs internationaux (Pace Gallery, Hauser & Wirth, Luxembourg & Dayan, Gagosian…).

Une loi qui limite l’exportation des œuvres
Pourquoi un tel succès ? « Il y avait jusque-là un décalage entre la valeur historique de ces artistes et leur prix de vente », explique Michele Casamonti, directeur de la Galerie Tornabuoni. « Après-guerre, l’Italie est un des centres névralgiques de la culture internationale : cinéma, design, littérature… Quant aux artistes, ils instaurent un vrai changement de langage. De nouvelles recherches sur la matière sont expérimentées : Fontana perce les toiles, Burri utilise la flamme, l’Arte Povera la glace, Alighiero e Boetti la broderie… », poursuit le galeriste. L’influence de ces artistes sur les générations postérieures issues de l’art conceptuel participe aussi à leur succès. Lors d’une conférence consacrée à Paolo Scheggi et à la scène milanaise des années 1960, Serge Lemoine expliquait : « Il y a actuellement un renouveau d’intérêt pour les années 1960, et pour ces recherches, en lien fort avec l’art contemporain actuel. Par ailleurs, l’Europe, longtemps tournée vers les États-Unis, commence à avoir un meilleur regard sur ses propres mouvements artistiques. »

Ce sont en réalité trois centres de création qui émergent dans le pays après-guerre. La scène milanaise (Castellani, Manzoni, Dadamaino, Paolo Scheggi…), la plus cotée, se concentre autour de Fontana ; à Turin se développe l’Arte Povera autour de Pistoletto, Castellani, Merz ou Alighiero e Boetti, tandis qu’Alberto Burri est la figure de la scène romaine qui réunit Mario Schifano, Mario Ceroli, Mimmo Rotella, etc. Sur ce marché à plusieurs vitesses émergent, derrière Fontana, Piero Manzoni (15,7 millions d’euros) et, plus loin, Alberto Burri (5,6 millions d’euros), Enrico Castellani (4,7 millions d’euros) et Michelangelo Pistoletto (3,5 millions d’euros), l’Arte Povera étant le plus à la traîne.

La législation italienne n’est pas étrangère à la présence en nombre de ces créateurs sur le marché : la loi limite en effet l’exportation des œuvres de plus de cinquante ans, les soumettant à l’obtention d’une licence du gouvernement. Pourtant, précise Michele Casamonti, « les prix augmentent malgré la législation et non grâce à elle. Avant d’être soumis à cette loi, les tableaux sortent d’Italie et augmentent ainsi l’offre et non les prix. En revanche, lorsque ces œuvres entreront dans le champ de cette loi, les prix augmenteront pour celles qui auront quitté l’Italie, au détriment de celles qui y seront restées ». Cette législation explique en partie la localisation du marché, dont l’Italie ne profite guère. D’après le dernier rapport Tefaf, la Péninsule représente aujourd’hui à peine 1 % du marché mondial de fine art, avec une croissance nulle. Pour ces artistes transalpins de l’après-guerre, achetés majoritairement par des collectionneurs américains, le marché se situe en grande partie à Londres. « Il fallait une place de marché internationale, en-dehors de l’Italie, mais proche de l’Italie. Londres, une ville cosmopolite qui réunit de nombreux collectionneurs, bénéficiait de tous ces atouts », éclaire Michele Casamonti. 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°686 du 1 janvier 2016, avec le titre suivant : Les vraies raisons du succès des Ventes d’art italien

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