Il faut plusieurs soirées et quelques matinées pour venir à bout de cette épaisse biographie aux lignes serrées : Louise Élisabeth Vigée Le Brun, Histoire d’un regard par Geneviève Haroche-Bouzinac [Flammarion, 690 p., 25 €].
C’est que l’auteure a le bon goût de remettre les faits dans leur contexte, et que son héroïne, elle, eut celui d’écrire ses Mémoires, que Colette prendra plus tard plaisir à pasticher. Née au XVIIIe siècle le 16 avril 1755, morte au siècle suivant le 30 mars 1842, l’artiste a « achevé sa traversée » à l’âge de 87 ans. Une longévité exceptionnelle que la peintre doit à une santé robuste, et aussi a sa bonne étoile qui lui permit d’éviter les massacres et la guillotine révolutionnaires. Partie en 1789 après que Paris fit circuler une correspondance apocryphe lui inventant une relation avec Calonne, l’ancien ministre des finances de Louis XVI, la portraitiste de Marie-Antoinette fuit Paris « vêtue d’une robe de toile sombre », les cheveux enveloppés « d’un fichu qui lui tombe sur les yeux comme une “ouvrière mal habillée” ». On ne la reconnaît donc pas, elle, dans sa voiture qui peut ainsi filer en Italie, direction Rome par Turin, puis Naples, où elle espère trouver refuge auprès de Marie-Caroline, sœur de Marie-Antoinette, et enfin Venise, où elle prend le bras de Vivant Denon. Commence alors, pour elle et Julie, sa fille née en 1780 de l’union avec le marchand de tableaux Jean-Baptiste Pierre Le Brun – qui se dit descendant de Charles Le Brun mais qui ne l’est pas vraiment –, le début d’un exil interminable qui durera « douze années, trois mois et douze jours », et qui la conduira jusqu’à la cour de l’impératrice Catherine II à Saint-Pétersbourg. Contrairement à tous ces nobles qui errent déchus et ruinés en Europe, la belle et fervente royaliste sait pouvoir vivre n’importe où et honorablement des portraits des gens bien nés qu’elle réalise à la commande. N’entrant pas, nous dit l’auteure, « en compétition avec les femmes d’une société qu’elle apprécie, mais à laquelle elle reste extérieure », Louise-Élisabeth peut jouer à se faire peur sur le Vésuve, à faire des courses de traîneau en Russie… en attendant de retrouver la France et ses amis Hubert Robert et Brongniart. À peine revenue, elle repart pour l’Angleterre, amadoue le futur Georges IV comme elle l’avait fait avec Paul Ier, mais voit désormais son succès décliner… Vient alors le temps d’entreprendre ses Mémoires « comme on écrit une lettre à son amie », et d’entrer dans l’histoire.
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Vigée le Brun, l’exilée européenne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°682 du 1 septembre 2015, avec le titre suivant : Vigée le Brun, l’exilée européenne