Décidément, les artistes me surprendront toujours. À propos de leur objet fétiche, il faut s’attendre à tout !
Et avec Gérard Garouste, me voilà bien étonnée. La réponse à ma question fuse sans l’ombre d’une hésitation : « Je suis fasciné par les artichauts ! », m’annonce-t-il, en riant. Il ajoute : « Ce n’est ni une fantaisie gratuite, ni une lubie, encore moins une tocade. » Certes, les toiles figuratives de ce peintre des profondeurs de l’âme mettent souvent en scène un personnage à double face (la plupart du temps, un autoportrait), tantôt sage, tantôt fou, qui navigue entre raison et déraison. Il joue, alors, une sorte de « commedia dell’arte » avec ou sans masque, accompagné de comparses ou d’animaux symbolisant nos travers ou d’éléments tirés des récits de la Bible. Pas d’artichaut en vue, cependant. Seulement des esquisses dans des carnets de croquis. Au demeurant, l’argumentation de cet amateur de jeux de mots et d’images en faveur de cette fleur comestible relève d’une observation minutieuse, d’une longue réflexion, et trahit un immense appétit pour tout ce qui concerne la vie et ses mystères. De l’approche immédiate à la plus sophistiquée. Pour commencer, Gérard Garouste développe son propos avec gourmandise : « Un artichaut de Bretagne, c’est délicieux. Avec le champignon, c’est un des aliments que je préfère. J’aime le manger cru ! » Et d’ajouter : « Son apparence me fait penser à une plante de la préhistoire qui aurait traversé le temps. Pour consommer cette fleur comestible à la saveur fine, il faut arracher ses feuilles, une par une, comme s’il s’agissait d’effeuiller une marguerite. Une fois cette étape passée, on trouve la barbe qui protège le cœur de l’artichaut. Et, c’est là que ça devient vraiment intéressant. » Le mystère s’épaissit : quel tiroir secret cette partie de l’artichaut ouvre-t-elle à cet explorateur qui aime déchiffrer les signes et qui se passionne pour l’étude de la Torah et de la Kabbale ? « Quant j’enlève les poils de cette barbe, j’observe minutieusement leur implantation. Cela dessine un enchaînement de spirales. Le même que celui des cheveux sur le crâne ou que celui offert par une coquille d’escargot ou un coquillage. » Un ordonnancement naturel qui n’échappe pas à cet ancien élève des classes préparatoires mathématiques, féru de géométrie : « Cela forme une équation qui correspond au nombre d’or, 1 racine de 5 sur 2. Soit une courbe logarithmique très belle. S’il y avait la moindre erreur, ce serait comme une fausse note dans un orchestre. » Pas de doute : depuis Pythagore, on sait que la nature répond à des règles mathématiques précises et Gérard Garouste n’est pas insensible à ces proportions considérées longtemps comme idéales dans les peintures classiques et dans l’architecture, à commencer par les temples grecs. Gérard Garouste avance : « Pour les cabalistes, “l’Éternel” a créé le monde et si l’on traduit la Torah en chiffres cela devient un formidable jeu mathématique. » Mais pourquoi, après les avoir souvent dessinés, n’a-t-il jamais peint d’artichauts ? « Cela correspond mieux au rythme des lignes du dessin, l’implantation des poils de la barbe formant une figure centripète qui part d’un centre et ouvre sur l’infini ! » Une idée séduisante pour celui qui n’aime pas emprunter les voies toutes tracées : « Je pense, notamment, au chemin que prennent Dante et Virgile dans la forêt obscure de la Divine Comédie ». « En chemin »… tel est aussi le titre de son exposition qui se tient actuellement à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence. Aussi le commissaire Olivier Kaeppelin a-t-il tenu à mettre cette phrase en exergue : « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer. » La mauvaise route, les déviations brutales, Garouste sait ce que c’est : il est sujet à des épisodes maniaco-dépressifs qui le déroutent, au sens propre et figuré : « L’art pour moi est un moyen de survivre. J’ai dessiné très tôt. J’ai toujours fait confiance à mes mains. » De là à conclure que l’intérêt qu’il porte aux artichauts vient de ce qu’on les mange avec les mains…
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Les artichauts de Gérard Garouste
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°682 du 1 septembre 2015, avec le titre suivant : Les artichauts de Gérard Garouste