Le cabaret d’amour de Bouchra Ouizguen

Horaire difficile, concurrence des compagnies stars ? Elle s’offre heureusement une seconde chance en septembre au Centre Pompidou, dans une salle qui a déjà su en apprécier les énergies concentrées. Ottof, qui veut dire fourmilière en berbère, inaugure donc le très attendu Festival d’automne. La pièce (pour quatre interprètes) poursuit le travail entrepris par la chorégraphe marocaine depuis son fameux Madame Plaza en 2009. Non pas une suite – car il n’y a pas vraiment d’histoire –, mais une même matière, une pâte ultra nutritive pétrie avec vigueur et persévérance. Sur scène, on retrouve les complices de toujours : ces danseuses et chanteuses de cabaret marocaines (les chikhates, rejetées par la « bonne » société), rencontrées il y a plus de dix ans et embarquées dans une aventure chorégraphique au long cours. Le sujet de Ottof : l’amour (ou plus exactement cet « enfoiré » d’amour). Le décor : les lumières d’Éric Wurtz qui suffisent à créer des mondes et flirtent, intrépides, avec l’obscurité. La bande-son : une fugue du Polonais Lutosławski. Le reste est affaire d’imagination. Est-on à la campagne (si on en croit les tenues traditionnelles) ; est-on dans une boîte de nuit – les corps s’électrisent, cheveux lâchés, sur du Nina Simone ? L’important se cherche ailleurs. Dans ces bassins qui se libèrent (qui s’insurgent). Dans ces présences intenses, brutales, sensuelles. Dans ces lenteurs épaisses auxquelles s’arrachent de subites accélérations. Transes. Épuisements joyeux. Cris et chuchotements. Rires, danse, chant : la même pâte qu’on malaxe. L’amour emporte, ancre dans le sol, use. Les voix de miel s’épicent d’amertume. « Je le tiens dans ma main [l’amour] avec mes dents, je le lèche », dit Fatéma. Ici, on n’aime pas – on ne vit pas – à moitié ; on donne tout, on ose tout : les postures, les rythmes, les trajectoires, les silences, et on entraîne le spectateur avec soi.