La Flandre gagne le large

La carte placée au début de la visite montre que pour les Pays-Bas espagnols au sud et les Provinces-Unies au nord, la mer est un espace hostile et inconnu à conquérir, exploiter et célébrer. Quand Bruges s’ensable, Anvers s’affirme comme le principal centre de pouvoir, de commerce et de culture. Une gravure détaillée de Frans Huys prouve combien le port est actif. Grâce aux progrès de la navigation et de la cartographie, des voies maritimes prospères s’ouvrent de l’Atlantique à la Baltique. La Flandre est alors la puissance qui compte. Ses trois-mâts délaissent le cabotage pour gagner le grand large. Les peintres anversois rendent compte à la fois de la générosité de l’océan (Marché aux poissons de J. Beuckelaer) et de la violence des vagues (Tempête en mer d’Andries van Eertvelt). Amsterdam prendra le relais après 1650.

Jusqu’alors simple décor servant de fond aux récits bibliques et mythologiques (Jonas englouti par la baleine d’Abel Grimmer), la mer acquiert avec Brueghel une vraie dimension iconographique. Il est le premier à en faire un sujet en soi. Une série de gravures de vaisseaux de haut bord dont le vent gonfle les voiles mais surtout le tableau décrivant une Bataille navale dans le golfe de Naples confirment son talent de metteur en scène nautique. Sur cette vue à vol d’oiseau qu’il exécute vers 1556, la stratégie des flottes ennemies devient une évidence. Joyau de cette exposition, cette œuvre extraordinaire prêtée à titre exceptionnel par la Galerie Doria-Pamphilj a été restaurée pour l’occasion et réattribuée définitivement à Brueghel. À sa suite, éléments favorables autant que force mythique, les flots sont les acteurs à part entière de ce genre de peinture. Les naufrages et les combats navals s’imposent comme des thèmes majeurs pour les peintres qui donnent à leurs compositions une portée soit religieuse soit politique. Les nombreuses toiles consacrées à la bataille de Lépante qui se déroule pourtant en mer Ionienne (1571) rappellent que l’événement a un retentissement considérable en Europe septentrionale.

Ayant fait le voyage d’Italie où ils puisent une nouvelle inspiration, des peintres comme Jan Brueghel, Jan Peeters ou encore Paul Bril idéalisent les vues portuaires et leur donnent une valeur poétique en mêlant à l’antique une touche exotique. On s’interroge sur le pourquoi de la présence au milieu du parcours d’une œuvre de Claude Lorrain, Le Port de mer à la grosse tour, d’une palette très subtile. Ayant très vraisemblablement vu à Rome des œuvres de Paul Bril, il reprend dans ce tableau les dominantes et en exalte encore l’imaginaire.

C’est au peintre flamand Jan Porcellis que les artistes hollandais doivent les repères qui les guident dans l’élaboration de ces tableaux typiques qui apparaissent au début du XVIe siècle. Le réalisme de ces marines dont Jan van Goyen est un des représentants les plus connus enchante les bourgeois d’Amsterdam au Siècle d’or. Une petite huile sur bois de Simon de Vlieger condense les principes qui signent ce style : tons froids, économie de détails, horizon abaissé, immenses nuages vaporeux. Choisis avec à-propos, les quatre-vingts peintures, dessins et gravures assurent la cohérence et l’originalité de cette exposition labellisée d’intérêt national, une reconnaissance méritée. En cinq étapes réparties sur deux étages, le visiteur aborde un domaine rarement traité.  Dominique Vergnon