« Mes yeux sont faits pour effacer ce qui est laid », aurait dit le peintre Raoul Dufy pour résumer le sens de sa démarche esthétique.
Ce touche-à-tout de génie – qui explora avec le même bonheur la peinture, la gravure, le dessin, la céramique et la tapisserie – fut aussi un extraordinaire créateur de tissus pour l’ameublement et la haute couture. Délaissant ses images d’ateliers, de ports de pêche ou de champs de course pour des semis de fleurs ou d’envoûtantes arabesques, le peintre havrais tissa ainsi dès 1910 une collaboration féconde avec le grand couturier Paul Poiret, avant de rejoindre deux ans plus tard la maison lyonnaise Bianchini-Férier (dont les clients les plus prestigieux n’étaient autres que Worth, Vionnet ou Lanvin…). C’est cette « épopée textile » que raconte de façon savoureuse le Musée d’art moderne de Troyes en confrontant études de motifs, dessins, gouaches et empreintes sur papier avec les modèles signés par les plus grands créateurs. Jouant délibérément sur les contrastes (le vide et le plein, le noir et le blanc), Dufy l’hédoniste fit alors souffler un vent de liberté et de fraîcheur sur le monde corseté de la mode. À l’heure où les musées adoubent enfin les grands couturiers, il était temps de rendre grâce à ces magiciens qui prêtèrent leurs talents à la création de tissus. N’était-ce pas là le moyen idéal d’abolir définitivement la frontière, ô combien artificielle, entre arts décoratifs et « grande peinture » ? Sensuel et jubilatoire, le pinceau de Dufy en apporte la démonstration éclatante !
Musée d’art moderne, 14, place Saint-Pierre, Troyes (10), www.musees-troyes.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Dufy l’enchanteur