Collectionner Jesús-Rafael Soto

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 17 décembre 2014 - 870 mots

Pleins feux sur Soto ! Perrotin consacre
à ce chef de file de l’art cinétique une rétrospective exceptionnelle, qui se partage entre son espace parisien rue de Turenne et sa galerie new-yorkaise. Pourquoi ?

C’est une première chez Emmanuel Perrotin : la galerie organise une exposition simultanée à Paris et à New York. À l’honneur ? Jesús-Rafael Soto, figure phare de l’op art et de l’art cinétique. Depuis sa mort, en 2005, et surtout depuis celle, en 2012, de sa galeriste Denise René, l’Estate de l’artiste n’avait engagé de collaboration efficiente avec aucune galerie. C’est désormais chose faite. Une soixantaine d’œuvres, mises en vente pour la première fois par la famille ou empruntées à des musées, sont présentées à l’occasion de cette exposition inaugurale, dont le commissariat a été confié à Matthieu Poirier, spécialiste de l’art cinétique, co-commissaire en 2013 des expositions « Dynamo » au Grand Palais et « Julio Le Parc » au Palais de Tokyo. Cette rétrospective exceptionnelle marque une nouvelle page de l’histoire de la galerie, qui a ouvert un espace sur Madison Avenue à New York en 2013. « Aujourd’hui, nous avons les moyens et la volonté de nous engager aussi pour des artistes qui ont – déjà – marqué l’histoire de l’art », explique Julie Morhange, directrice de la galerie parisienne.

De fait, Jesús-Rafael Soto a profondément marqué l’histoire de l’abstraction. Fasciné par Mondrian, il lui semble que ses constructions manquent de mouvement. Ce Vénézuélien arrivé à Paris en 1950, à l’âge de 27 ans, n’aura de cesse de l’immiscer dans ses œuvres, le développer, approfondir ses effets. « Pour lui, l’art ne doit pas se résumer à un objet statique, figé. Il doit vibrer et palpiter dans le temps », explique Matthieu Poirier. Celui qui deviendra l’un des chouchous de Harald Szeemann participe à sa première exposition, « Le Mouvement », en 1955, à l’invitation de Calder à la Galerie Denise René aux côtés de Duchamp, Tinguely ou Vasarely. Dès lors, ce peintre de « vibrations », qui produisent des effets d’optique lorsque le spectateur se déplace, et ce sculpteur de « Pénétrables » (installations en fils de plastique au milieu desquels déambule le visiteur) enquille les plus belles expositions, de sa rétrospective à New York au Guggenheim, en 1974, à celle du Jeu de paume organisée par Daniel Abadie en 1998.

Vibration baroque
Plutôt baroque ou classique ? Quand on se déplace face à une « vibration », on ne sait quel effet produira le jeu entre les tiges peintes et le fond monochrome : l’objet semble s’être volatilisé pour laisser place à une onde mouvante. Face à un « T » au contraire – comme Soto nommait les petites pièces de métal soudées en forme de T qu’il fixait perpendiculairement –, la vibration née du déplacement latéral du regard semble se répéter dans un rythme régulier et parfait. Vous hésitez ? Malgré leurs rythmes si différents (Soto était musicien), les prix de ces œuvres sont les mêmes… puisqu’elles sont de tailles identiques !
Vibración amarilla y blanca, 1994, peinture sur bois et métal, nylon 102 x 102 x 27 cm. Prix : 316 000 €

Volume virtuel
Emblématique de l’œuvre de Soto, cette installation s’appréhende dans le temps, grâce aux effets d’optique produits par les déplacements du spectateur dans l’espace. Dans ce volume fait d’une pluie de tiges, le vide occupe une telle place que le regard peut traverser la sculpture… Un principe qui trouvera son point culminant dans les Pénétrables, dont le premier fut créé en 1967, et où le visiteur est invité à se frayer physiquement un chemin dans une forêt mouvante de fils de nylon suspendus. Cette Double progression bleue et noire, composée de trois éléments monumentaux, compte parmi les œuvres les plus chères de l’artiste.
Doble progresión azul y negra, 1975, peinture sur métal. Chaque partie 200 x 300 x 150 cm. Prix : plus d’un million d’euros

Ambivalence

Les premières références historiques de Soto ? Piet Mondrian et le Carré blanc sur fond blanc de Malévitch. Tout au long de sa carrière, Soto s’attachera à transformer ces carrés qui le fascinent, « pure invention de l’esprit humain », « création nettement intellectuelle », en lumière, mouvement, énergie. En 1953, il crée Deux carrés dans l’espace ; en 1958, son Premier carré vibrant, jusqu’à se lancer, dans les années 1980, dans ses grandes Ambivalences, où il disperse des carrés colorés sur des surfaces striées sur lesquelles ils semblent en suspension.
Ambivalencia en el espacio color n° 12, 1981, peinture sur bois et métal 156 x 106 cm. Prix : 418 000 €

Écriture

« Les écritures sont pour moi une façon de dessiner dans l’espace », a expliqué Soto. Sur un fond tramé de lignes noires et blanches, se détachent des tiges qui semblent former une écriture. Lorsqu’on se déplace, elle semble vibrer. Soto développe la série qui prendra le nom d’« écritures », des années 1960 jusqu’à la fin de sa vie. Comme pour toutes les pièces de Soto, c’est la dimension, et non la période de l’artiste à laquelle elle appartient, qui détermine le prix de l’œuvre.
Écriture bleu central, 1999, peinture sur bois et métal, 208 x 304 x 36 cm. Prix : 726 000 €

« Jesús-Rafael Soto, Chronochrome »

Galerie Emmanuel Perrotin, 76, rue de Turenne, Paris-3e, du 10 janvier au 28 février 2015 ; et 909 Madison Avenue, New York (États-Unis), du 15 janvier au 21 février, www.perrotin.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : Collectionner Jesús-Rafael Soto

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque