Alors que la plupart des expositions s’étaient contentées de panoramas historiques, stylistiques et/ou géographiques du mouvement, l’exposition « #Street Art » à la Fondation EDF affiche un parti pris singulier : analyser l’impact du numérique sur les street artists.
Contre l’image d’Épinal d’un art urbain cantonné à la ville et l’intervention in situ, l’accrochage de l’espace de la rue Récamier, à Paris, souligne la diversité et la fécondité des ponts jetés entre espace sensible de la rue et monde digital. Des nouveaux modes de représentation liés à la photographie numérique aux codes QR, en passant par Internet et le jeu vidéo, les nouvelles technologies autorisent en effet une large palette d’usages à même de refonder l’esthétique du street art et sa relation au public.
Internet, nouvel espace public
Loin d’être circonscrites aux marges du mouvement, celles-ci ont en effet joué un rôle de premier ordre dans son essor et sa diffusion. Alors que la ville et une poignée d’événements et de publications constituaient jusqu’alors le seul lieu d’exposition et de circulation des œuvres et de leurs archives, Internet ouvre aux artistes un autre espace public, bien plus large que le précédent : « Avant la numérisation de l’image, que ce soit photo puis vidéo, la seule manière de partager son travail était de le montrer physiquement autour de publications ou d’expositions, explique Jérôme Catz, curateur, dans le catalogue de « #Street Art » – en ligne, forcément. L’arrivée d’Internet change d’un coup – et de manière définitive – la façon de partager les images. Il est désormais possible de voir le travail d’un artiste à l’autre bout de la planète quasiment en temps réel. Les acteurs de la communauté street art découvrent qu’ils sont nombreux, partout, et qu’ils partagent les mêmes valeurs. »
L’influence des nouvelles technologies sur l’art urbain est aussi d’ordre esthétique. Que ce soit le Parisien Invader dont les mosaïques peuvent se lire comme autant d’assemblages de pixels, ou l’Allemand Aram Bartholl qui dissémine à travers la ville les symboles et objets propres à Internet (captchas, clés USB où télécharger des fichiers…), les street artists puisent volontiers dans le monde numérique les sujets et motifs de leurs travaux. Dans les animations de Blu ou les photos de Slinkachu, le Web s’avère même le seul moyen d’accès à l’œuvre dans sa globalité. À mesure que se banalise l’usage des nouvelles technologies, on assiste ainsi à une hybridation croissante, sinon à une confusion entre cultures urbaines et culture Internet.
Du graffeur au hacker
C’est particulièrement le cas du Graffiti Research Lab (GRL) créé dans le giron d’Eyebeam par les Américains Evan Roth et James Powderly. Depuis 2004, ce collectif international à géométrie variable propose en open source toutes sortes d’outils à destination des artistes et activistes urbains. On lui doit entre autres le laser tag, qui offre de tracer des lettrages à grande échelle au laser, l’imprimante à graffitis ou encore le GML (Graffiti Markup Language), un programme permettant d’archiver le geste du graffeur. Pour Jérôme Saint-Clair, artiste numérique et fondateur en 2011 du GRL France, les points communs entre hackers et graffeurs sont plus nombreux qu’on ne le croit : « Tous deux misent sur la débrouille pour fabriquer des outils qui leur conviennent, explique-t-il. Ils partagent aussi leur côté transgressif et leur appartenance à une culture populaire. » En appliquant au graffiti les codes propres à la création numérique, les artistes versés dans les nouvelles technologies ont contribué à élargir l’horizon d’une culture urbaine caractérisée à l’origine par son hermétisme et son goût du secret. Avec eux, le street art s’est notamment ouvert à l’interactivité et la participation du public. Exemple : le Water Light Graffiti présenté à la Fondation EDF. Composé d’eau et de Leds, ce prototype d’Antonin Fourneau se veut un mur d’expression libre où le public peut tracer d’éphémères inscriptions. « L’œuvre s’adresse à des gens qui n’osent pas ou ne veulent pas prendre le risque de laisser leur marque, explique Jérôme Catz. L’idée que l’espace public devienne un lieu d’expression ouvert à tous est bon signe : ça va permettre à ceux qui ont besoin de s’exprimer de le faire. »
Seul bémol : ce graffiti « propre », légal et encadré, s’avère à mille lieues de ce que fut longtemps l’art urbain. L’apport du numérique signerait-il aussi la banalisation d’une pratique fondée à l’origine sur la prise de risque et le défi lancé à l’autorité ? Pas selon Jérôme Catz : « À mesure que le graffiti s’institutionnalisait, rappelle-t-il, de nouvelles techniques très agressives sont apparues, comme le tag à l’extincteur ou le fait de graver les vitres. Il en va de même pour les œuvres interactives : elles ne remplacent pas les pratiques plus risquées, mais s’y surajoutent... »
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L’art urbain #hashtag Internet
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 1er mars 2015. Espace Fondation EDF à Paris (7e). Ouvert du mardi au dimanche de 12 h à 19 h. Entrée libre. Commissaire : Jérôme Catz. fondation.edf.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : L’art urbain #hashtag Internet