Elle lance d’abord l’idée du cadre de sérigraphie, puis elle se ravise. Finalement, la chaise lui semble être l’objet fétiche parfait. Ce meuble l’obsède suffisamment pour lui accorder toute son attention.
C’est un élément récurrent dans son œuvre et c’est un point de repère dans sa trajectoire personnelle. Elle y réfléchit souvent. Et la cohérence de sa démonstration laisse admirative. Elle déclare : « La première peinture importante que j’ai réalisée aux Beaux-arts de Paris, où j’ai fait mes études, montrait un dossier de chaise. Pour moi, c’est un objet qui suggère immédiatement un décor. Qui délimite tout de suite un espace et y introduit une théâtralité. Une simple chaise, même représentée partiellement, oblige à réfléchir à ce qui se passe dans le cadre du tableau, à ce qu’on choisit d’y faire figurer. » Un objet qu’elle scrute, avec intérêt, dans les toiles des autres artistes. Aussi se souvient-elle, à la même époque, lors d’une sortie scolaire à la Tate Gallery à Londres, de cette toile-collage de Richard Hamilton, peinte en 1964 et intitulée Intérieur 2 : « On y voit, au premier plan, une chaise de dos, faisant face à un écran de télévision et, tout près d’elle, figure une jeune femme qui se tient debout. Eh bien, la chaise dégage autant de présence que le personnage ! » Cette œuvre, qui fait désormais partie de sa collection de cartes postales, présente un autre intérêt aux yeux de l’artiste : elle juxtapose sur une même surface différents éléments circonscrits dans des carrés ou des rectangles, tout comme dans certaines de ses propres toiles qui, de la même manière, superposent différents espaces. Elle ajoute : « Quand j’étais petite, j’étais fascinée par la chaise de Van Gogh représentée dans La Chambre jaune. La présence écrasante du peintre est évidente. On l’imagine assis et nous regardant. » Dernièrement, l’artiste, qui pétille d’énergie, a été impressionnée par la photographie d’une installation tragi-comique des Suisses Fischli/Weiss. Il s’agit de deux chaises tenant l’une sur l’autre en équilibre et dont les deux pieds de devant se touchent. Un numéro d’acrobatie d’objets à la fois dérisoire et essentiel, métaphore de la destinée humaine où l’homme est à la recherche constante d’équilibre : « La chaise, dit Eva Nielsen, est un objet de la vie courante auquel on ne fait plus attention. C’est un objet qui peut être redécouvert par un artiste qui souhaite le représenter. Et, pour moi, c’est ce qui fait toute l’excitation de l’art. » Les surfaces peintes d’Eva Nielsen, mi-abstraites, mi-figuratives, contiennent donc des fragments de réalité, des éléments triviaux qui créent une bascule entre deux mondes, entre différents types d’espaces, physiques et mentaux. Elle précise encore : « Concernant cette chaise qui revient fréquemment dans mon travail, je commence par la photographier dans son contexte, puis je détoure l’image grâce à l’ordinateur, la reporte ensuite entière ou en partie sur l’écran sérigraphique avant de l’introduire dans ma composition peinte. Il suffit de montrer le dossier ou le pied d’une chaise pour que le cerveau la reconstitue en entier. Et forcément, sur une surface plane, ça suggère le volume. Ça renvoie à la peinture comme illusion, comme mensonge vrai. » Si l’on suggère à l’artiste de sortir du seul champ plastique, on s’aperçoit bien vite que cette fascination pour la chaise s’enracine au plus profond de ses souvenirs intimes. Née dans une famille d’origine danoise, le pays du design, Eva Nielsen se rendait régulièrement durant son enfance au pays des Vikings, chez un oncle qui possédait un magasin de meubles : « Là-bas, explique-t-elle, les gens vivent beaucoup à l’intérieur des maisons, surtout pendant l’hiver qui n’en finit pas. Ils s’intéressent de près au mobilier. Et les designers suédois rêvent tous de dessiner une chaise emblématique, de revisiter cet élément basique entre tous, de créer une forme iconique. » On apprendra également qu’Eva Nielsen vendait des meubles dans une boutique du côté de Bercy pour payer ses études : « J’ai eu l’occasion de bien regarder les tables et les chaises. Quand j’avais un moment de libre, je faisais des croquis dans des petits calepins, des instantanés que je n’avais pas le temps de fignoler mais qui m’ont servi ensuite pour réaliser mes premiers tableaux. » Et de commencer à asseoir sa démarche !
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La chaise d’Eva Nielsen
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Abonnez-vous dès 1 €« Avec et sans peinture, acquisitions récentes », Mac/Val, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, place de la Libération, Vitry-sur-Seine (94).
Surimpression, allocution d’Eva Nielsen donnée le 30 octobre 2014, au Collège de France disponible en vidéo.
Eva Nielsen est représentée par la galerie Dominique Fiat, 16, rue des Coutures-Saint-Gervais, Paris-3e.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : La chaise d’Eva Nielsen