La série se compose d’un ensemble de cubes noirs faiblement éclairés. Dans chacun d’entre eux, un diorama agrège en miniature un paysage urbain banal, familier : ici une maison typique des suburbs américains, là un parc flanqué de lampadaires et de quelques bancs, ailleurs un abribus, une voiture ou une tractopelle.
Les éléments qui forment l’ensemble sont blancs et d’aspect vaguement poudreux. Cette apparence suffit à signaler qu’ils ont été conçus à l’imprimante 3D. Malgré la pénombre où chaque scène est plongée, un regain d’attention révèle bientôt quelques incongruités : l’un des bancs du cube n° 2 semble avoir été étiré jusqu’à perdre son orthogonalité et, dans le cube n° 7, une voiture est érigée verticalement au milieu d’un parking. Ces accidents sont au cœur de la série Glitched imaginée par Mathieu Schmitt, sculpteur né en 1981. Ils introduisent dans la banalité quotidienne des scènes représentées une perturbation propre à éveiller la surprise et la curiosité. S’il reste l’effet du hasard, l’effet produit a été travaillé avec soin : chacun des fichiers informatiques 3D a été préalablement corrompu via un passage par une série de programmes inappropriés, selon le principe du data bending.
En cela, la démarche de l’artiste est emblématique de l’esthétique « glitch », d’où la série tire son titre. Quasi synonyme de bug, cet anglicisme désigne en effet une erreur analogique ou numérique. Mais, si le bug s’avère une perturbation malencontreuse aux effets potentiellement catastrophiques, le « glitch » désigne au contraire l’accident comme une échappée salutaire et une occasion de créativité. Dans les dioramas de Mathieu Schmitt, chaque anomalie fait ainsi l’objet d’une recherche minutieuse : « Le “glitch” n’est pas tout le temps intéressant, explique l’artiste. Rarement à vrai dire. Et c’est particulièrement ce pour quoi il m’intéresse. Pour arriver à une erreur, une déformation que je trouve juste, il faut de nombreux essais. » À rebours de la sculpture « classique » où le geste s’emploie à maîtriser la matière et à lui donner forme, les œuvres « glitch » de Mathieu Schmitt se fondent sur la sérendipité et l’incertitude du résultat. Non seulement il accepte le raté et l’accident, mais son intervention consiste à le rendre possible, puis à trier parmi les aberrations produites celles qu’il souhaite offrir aux regards.
Cette démarche, il explique la devoir aux théories de Heinz von Foerster. En effet, selon le cybernéticien austro-américain, les systèmes d’information contemporains ont atteint un tel degré de performance qu’ils excluent l’entropie. Ce faisant, ils écartent aussi toute opportunité de découverte. Il devient alors nécessaire de produire l’accident, de le créer volontairement pour faire naître de nouvelles formes. C’est ce à quoi s’emploient les artistes qui, à l’instar de Mathieu Schmitt, font du « glitch » un principe esthétique : en opérant une trouée dans la mécanique trop bien huilée de nos systèmes d’information, ils en troquent l’implacable perfection et l’absolue stérilité contre un bégaiement volontaire, par lequel l’opérateur se distingue in fine de la machine et affirme sur elle sa supériorité. Dans le « glitch », l’erreur est, plus que jamais, humaine.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Attention, ça « glitch »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : Attention, ça « glitch »