Vue du front des opérations, comment la Première Guerre mondiale fut-elle représentée par ses protagonistes ? Mais avant cela, de quelle guerre parle-t-on : de « la » guerre en général ou de celle vécue par chaque homme, selon qu’il était missionné par les services des armées ou simple poilu ? Selon, aussi, qu’il était artiste professionnel ou amateur, photographe ou peintre, voire cinéaste ? Selon, enfin, qu’il se situait sur l’un ou l’autre des fronts : français ou allemand bien sûr, mais aussi d’Italie, du Moyen-Orient et des Balkans, moins connus et pourtant aussi meurtriers ?
« Vu du front. Représenter la Grande Guerre », l’exposition présentée à l’hôtel des Invalides, aurait pu être intitulée : Regards croisés, les différentes représentations de la Grande Guerre. Car, si 14-18 est la première guerre moderne de l’histoire, elle est aussi la première à être accompagnée d’une importante production d’images en tous genres. Sur le front, une fois le conflit enlisé, passant d’une guerre de mouvements à une guerre de positions, on s’ennuie, on « cafarde » ; alors on écrit, on griffonne, on peint même, comme Henry Valensi, des pochades qui serviront plus tard à des compositions plus ambitieuses, et l’on photographie avec ces premiers modèles légers – les fameux Kodak – qui commencent à circuler. Louis Danton, photographe amateur, est ainsi l’un de ceux qui partent un appareil dans leur barda. Il photographie sa vie dans les tranchées, le sous-lieutenant Fouace, « la dernière coupe de cheveu » ou sa mascotte Toto qu’il met en scène sur un attelage ou sur un canon, documentant ainsi pour l’histoire la vie d’un soldat dans les tranchées. Pendant que Danton « s’occupe », les reporters accrédités pour la presse illustrée et les photographes missionnés par les armées enregistrent, quant à eux, les cadavres et les explosions d’obus. Car il faut informer autant que désinformer l’arrière et, pour cela, rien ne vaut une bonne image. Montrer, que l’on soit français ou allemand, le courage de ses troupes face à l’ennemi barbare capable de détruire des monuments aussi illustres que des cathédrales. Bien sûr, la censure veille au grain, mais elle ne parvient pas à contrôler totalement ce flot d’images. Il n’est ainsi pas rare qu’une même photo, pourtant non autorisée, fasse la couverture de journaux illustrés dans plusieurs pays, comme il n’est pas rare que des documents confidentiels soient publiés dans la presse et passent à l’ennemi : ce fut le cas de la première tenue de camouflage mise au point par Corbin. Au milieu de ce déferlement d’images, la Grande Guerre n’en a pas pour autant fini avec la peinture. « Artistes, hâtez-vous ! Envoyez vos œuvres », préviennent les affiches publicitaires qui annoncent l’ouverture des salons des armées et des poilus qui fleurissent à l’arrière. Car la guerre est un genre en soi. Un genre qui plaît. Même l’affiche de l’exposition des étudiants à l’École des beaux-arts de Paris montre les tranchées ! Quant aux services des armées, eux-mêmes ne s’en remettent pas encore totalement à la photographie et continuent d’envoyer les anciens nabis sur le front rendre compte du conflit.
Maurice Denis, après avoir visité les ruines d’églises, peint les canons encore fumants lors d’une Soirée calme en première ligne à Barisis (1917). Vuillard représente quant à lui L’Interrogatoire (1917). D’ailleurs, c’est encore la peinture et le dessin qui parviennent, souvent mieux que la photographie, à synthétiser l’action, le combat. Le Bombardement de Ludwigshafen (1918) de Maurice Busset, petit peintre talentueux, témoigne mieux que ne saurait le faire n’importe quel cliché aérien de l’enfer des bombes incendiaires… Exposition boulimique mais passionnante, dont même le parcours pourtant sinueux ne parvient pas à rompre le fil, « Vu du front » est la grande exposition parisienne du centenaire. Elle rappelle combien 14-18 reste un sujet neuf, si on le prend non plus par ses sources littéraires mais par ses documents visuels. Tout en rappelant qu’un même conflit cache une multitude de points de vue qui font la complexité de l’Histoire. Dommage qu’elle ne bénéficie d’un espace plus grand, plus aéré. Le Grand Palais aurait été parfait.
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« La » grande expo sur 14-18
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Abonnez-vous dès 1 €Musée de l’Armée, BDIC, hôtel des Invalides, 129, rue de Grenelle, Paris-7e, www.musee-armee.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : « La » grande expo sur 14-18