La sculpture a toujours nécessité de nombreux collaborateurs susceptibles d’assister l’artiste qui, en définitive, appose seul sa signature.
Bernin ou Bartholdi eussent-ils livré la Fontaine des Quatre-Fleuves (1647-1652) ou la Statue de la Liberté (1875-1884) sans recourir à des aides ? Assurément non. La faute à la taille cyclopéenne des pièces, évidemment, mais aussi à la subtilité de leur mise en œuvre, entre virtuosité et ingénierie. Parce qu’elle est dense, résistante et tellurique, la matière de la sculpture nécessite donc des ateliers différents de ceux des peintres. Protée n’est pas saint Luc, il ne peut se contenter de simples couleurs et d’un modeste chevalet. Il a besoin de sellettes et d’outils – burins, gouges, mirettes –, de ses mains et de ses muscles, d’aides et d’assistants, de temps et d’espace pour entreprendre un corps à corps avec l’œuvre.
Entre la première pensée d’un sculpteur – en terre, en cire, en plâtre – et sa traduction dans un matériau pérenne, nombreux sont les collaborateurs sollicités. L’atelier est un espace non seulement pluriel – s’y presse une foule bigarrée – et industrieux – plusieurs étapes de la réalisation d’une sculpture peuvent être effectuées en même temps. Le XIXe siècle, qui sacre une véritable statuomanie, engage les sculpteurs à fractionner les tâches et à s’entourer d’assistants compétents qui mènent souvent leur propre carrière d’artiste – ainsi Camille Claudel et Charles Despiau qui, bien qu’ils œuvrent pour Rodin, figurent dans les salons sous leurs propres noms. Mieux, un assistant ne travaille pas exclusivement pour un maître reconnu : François Pompon a beau superviser l’atelier du maître de Meudon, il n’en exerce pas moins son métier de praticien auprès des sculpteurs Alexandre Falguière et René de Saint-Marceaux.
Une œuvre, des mains
Au cœur de cette fragmentation du travail, le marbre verra intervenir des épanneleurs et des metteurs au point quand le bronze réclamera des mouleurs, des fondeurs ou encore des ciseleurs, autant d’ouvriers qualifiés susceptibles de donner corps aux desseins du sculpteur-auteur. Dans l’atelier peuvent donc travailler simultanément des agrandisseurs et des praticiens – ils furent plus d’une centaine à réaliser des marbres pour Rodin – afin de fixer dans la matière inerte l’éther d’une pensée qui n’est pas leur. Être auteur sans même porter la main à l’œuvre. Thaumaturgie subtile qui vient combattre l’idée toute romantique de l’auteur unique et indivis. Idée presque duchampienne et d’autant plus dadaïste qu’un praticien, pour réaliser l’œuvre d’un autre, peut lui-même faire appel à un autre praticien. L’atelier comme une fabrique vertigineuse, comme la mise en abîme des talents et des compétences, quand cohabitent le singulier et le pluriel, le génie et ses auxiliaires. Ad libitum.
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Rodin, bourdelle… L’atelier du sculpteur, un cas à part
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Rodin, bourdelle… L’atelier du sculpteur, un cas à part