Il a d’abord évoqué le canif de son père, a hésité, est passé à autre chose, pour finalement y revenir : « Honnêtement, je n’ai pas d’autre objet fétiche que celui-ci », constate Philippe Favier.
Il précise : « Je l’ai toujours avec moi. C’est le seul objet que j’ai gardé de mon père. Il le trimbalait dans sa voiture lors de ses tournées. Il parcourait les campagnes comme voyageur de commerce. Quand il s’arrêtait au bord de la route, il utilisait son canif pour cueillir des champignons qu’il ramenait à la maison. Ou, tout simplement, pour couper les tranches d’un saucisson fabriqué par un excellent artisan charcutier. » Et tout de suite viennent à l’esprit les images bucoliques d’une France disparue, celle des années 1960, à jamais saisie par des photographes comme Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson ou Willy Ronis. Une atmosphère que l’on retrouve dans certains collages de Philippe Favier. Le temps qui passe, autre question récurrente, imprègne également son œuvre : vanité, tout n’est que vanité. Orfèvre de l’image miniature, Favier compose à partir de photographies qu’il découpe, coud et recoud. Il vient et revient sur l’ouvrage avec la minutie d’une brodeuse. Il invente des planches anatomiques sorties de son imaginaire et, tel un entomologiste, épingle ses motifs selon d’étranges hiérarchies. Il se nourrit de tout, des planches illustrées des vieux Larousse, des cartes postales anciennes, ou encore des catalogues de la Manufacture de Saint-Étienne, ville où il est né. Réaliser de tout petits motifs riches et complexes reste sa marque de fabrique, même si son travail a évolué. La raison ? « Quand j’ai fait les beaux-arts à Saint-Étienne, on admirait les artistes expressionnistes américains. Mais Motherwell et les autres réalisaient des tableaux de dix mètres de long, faits pour les musées, pas pour les gens qui vivent dans les caravanes ! J’ai eu alors envie de prendre le contre-pied. » Trier, classer, trancher. Retour au canif chéri : « C’est un objet basique, tout ce qu’il y a d’ordinaire. Rien à voir avec le couteau suisse, la Rolls-Royce du genre. Celui-ci se compose d’une lame et d’un tire-bouchon. C’est idéal pour préparer un bon casse-croûte ! » Un temps d’arrêt… puis il ajoute : « Qui dit objet fétiche ne dit pas forcément objet sacralisé. J’utilise donc ce canif chaque fois que j’en ai besoin, comme je l’ai fait dernièrement lors d’un accrochage et que les tournevis “maison” étaient trop grands ou trop petits. » On l’aura compris : les outils sont indispensables à Favier. Il crée avec ses mains : « Je fais partie des derniers peintres rupestres, en somme ! » Il faut aller chercher du côté de son grand-père ce goût du travail manuel : « À 7 ans, il m’a offert un mécano qu’il avait fabriqué lui-même à partir de matériaux de récupération. Une révélation ! » Depuis, l’amour des outils constitue un moteur pour Favier : « Si j’ai vraiment envie d’utiliser un outil, je finis par trouver une idée qui m’oblige à m’en servir. Comme je fais dans le minutieux, je m’aide, entre autres, d’un cutter, d’une pince à épiler, d’un marteau de vitrier, de mes ongles, et aussi de mon canif. » Même lorsque Favier signe des tableaux de 4 m de long, les motifs qui y sont représentés demandent beaucoup d’attention : « Il faut s’approcher au plus près, créer une intimité pour voir tous les détails. Petit, j’étais très replié sur moi-même. Par exemple, à la campagne, je regardais les fourmis plutôt que les vaches ! » Il conclut : « J’étais si timide que j’ai pris des cours de théâtre. Et puis j’ai arrêté pour revenir à l’art. L’avantage avec l’art, c’est qu’on peut s’exposer sans sortir de soi-même. »
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Le canif de Philippe Favier
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°673 du 1 novembre 2014, avec le titre suivant : Le canif de Philippe Favier