Il y a, à Senlis, c’est heureux, ses tableaux emblématiques, ceux du fonds Dina Vierny et ceux du Musée d’art et d’archéologie de la Ville, ses petits objets peints, ses photos, divers accessoires du film de Martin Provost, qui mit sur elle un fameux coup de projecteur, le tout rassemblé autour du 150e anniversaire de sa naissance à Senlis, où elle vécut.
Pourtant, l’existence de Séraphine Louis, artiste-servante, garde son mystère. Sa vie est faite de trous qui la rendent, à l’aune de son œuvre, étrange et insaisissable. Il reste d’elle l’image d’un feu follet s’échinant au labeur le jour, pour survivre et peignant sans relâche la nuit, pour exister. De vieux clichés la montrent devant ses toiles, le visage triste traversé d’une terrible humanité. Elle doit à la longue période de vingt ans de travaux au couvent de Senlis son penchant pour le mysticisme, sa culture religieuse, son style. Sa vie est plate et morose : elle écrira sa propre histoire à sa manière, à partir de fleurs. Séraphine n’entend rien à la peinture, n’est jamais allée dans un musée. Elle peint sans technique, simplement poussée par cette nécessité intérieure. Elle crée de mémoire des fruits pulpeux mûris sous un soleil inconnu, des fleurs agencées en bouquets fabuleux dont elle laisse éclater pistils et étamines. Sa palette ne comporte pas encore les couleurs violentes à venir. En 1912, le marchand d’art Wilhelm Uhde la remarque alors qu’elle est son employée de maison. Il est ébloui par ses compositions florales. Obligé de quitter Senlis durant la Première Guerre mondiale, Il la retrouve en 1927 à la Société des amis des arts où Séraphine présente six toiles, visibles aujourd’hui. L’année suivante, il l’associe aux Primitifs modernes : Bauchant, Bombois et Vivin. Les voici réunis dans une salle, près de Séraphine la solitaire. L’aurait-elle apprécié ? La période allant de 1927 à 1932, la plus créative, est celle des grands formats que Séraphine nomme ses Fleurs de paradis. Cette nouvelle manière, plus complexe, plus « barbare », fait surgir des fleurs singulières, irréelles, des buissons ardents aux feuilles tourbillonnantes qui embrasent le centre de ses toiles : l’Arbre de paradis recèle au cœur de ses fleurs précieuses un « œil inquisiteur », l’arbre rouge révèle un feuillage de plumes touffues, les grandes marguerites allument un véritable incendie. Peindre encore et encore, jusqu’à la folie… De son vivant, Séraphine n’était qu’une ombre qui passait tête baissée dans Senlis la royale. Cent cinquante ans plus tard, elle y revient la tête haute et en pleine lumière.
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Séraphine, son retour à Senlis
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Abonnez-vous dès 1 €« Séraphine de Senlis, de l’ombre à la lumière – 150e anniversaire », Musée d’art et d’archéologie de Senlis, place du Parvis-Notre-Dame, Senlis (60),www.musees-senlis.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : Séraphine, son retour à Senlis