Il faut, pour vraiment comprendre, remonter à la source. Il faut, au milieu d’immeubles anodins, trop grands et trop gris, entre le béton et l’asphalte, frapper à une porte puis suivre Brigitte Terziev pour accéder à son atelier parisien, à cet antre auquel on accède par une volée de marches étroites.
Car l’atelier n’est pas à côté mais sous l’appartement. Il faut donc, pour approcher les œuvres, descendre dans les entrailles, quitter le chœur des vivants pour pénétrer la crypte, celle où se dressent une armée de personnages, d’argile et de fer. Avec ses cheveux couleur de lave, comme peints par Waterhouse, la jeune septuagénaire, sculpte depuis toujours, ou presque, des figures intimidantes, volontiers effrayantes. La faute à leur indistinction : ces guerriers, plus grands que nature, sans yeux et sans bras, sont-ils muets ou silencieux ? Ont-ils perdu la parole ou, pire, l’envie de parler ? Sont-ils samouraïs dérisoires ou sarcophages revanchards, soldats dont la cuirasse ne protège que le vide ou scaphandres contenant une vie mystérieuse car enclose ? Avec leurs fils qui pendent, avec leurs thorax défoncés, avec ce qui leur tient de peau et de parure, de vertèbres et de squelette, de quelle race sont ces silhouettes totémiques ? Comment et pourquoi tiennent-elles ? Fille d’un sculpteur élève de Bourdelle et de Zadkine, frère de Laurent, cet immense comédien né sous le signe de Strindberg et de Rossellini, élève d’Adam et de Couturier, Brigitte Terziev sait la patience, la discrétion et, depuis son entrée sous la Coupole en 2007, la reconnaissance. Comme Orphée ou le Virgile de Dante, elle sait que toute quête est une descente : dans les abysses et dans les abîmes, vers les limbes, parfois aux enfers, là où gisent des formes premières, pétrifiantes car à peine pétrifiées. Du reste, ses splendides Veilleurs, admirablement présentés à la Fondation Coubertin, le prouvent incontestablement : toute sculpture est une exhumation. Quand la fosse, elle, est commune.
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Brigitte Terziev, de profundis
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Abonnez-vous dès 1 €Musée de la Fondation de Coubertin, Domaine de Coubertin, Saint-Rémy-lès-Chevreuse (78), tél. 01 30 85 69 89.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : Brigitte Terziev, de profundis