Un livre de bonne femme sur les bonnes femmes. Encore un ! Comme toujours lorsqu’il est question des femmes et de leurs revendications, les railleries ne manqueront pas.
« Encore un », parfaitement. Sauf qu’à y regarder de près, la littérature sur les femmes dans l’art est, en France, relativement pauvre… Les choses évoluent, il est vrai, notamment depuis 2009 et la fameuse – parce que polémique – exposition « elles@centrepompidou ». Depuis cet événement qui, s’il fut critiqué, a eu le mérite de mettre le sujet sur la place publique, plusieurs publications, accompagnées d’expositions, réévaluent le travail d’artistes en interrogeant les mécanismes historiques qui ont contribué au mieux à les marginaliser, le plus souvent à les ignorer ou à les dévaluer. Citons les travaux de Camille Morineau, dont l’important catalogue elles@centrepompidou dont elle a assuré, étant la commissaire générale de l’exposition, la direction. Citons aussi le livre de Catherine Gonnard et Élisabeth Lebovici, Femmes artistes/Artistes femmes, de 1880 à nos jours (Hazan) qui, paru en 2007, témoigne que le sujet était dans l’air.
Une histoire de l’art des années 1970
Ce que confirme le dernier livre en date : Des sorcières comme les autres, de Fabienne Dumont, un ouvrage issu de la thèse soutenue par l’historienne de l’art en 2004. Le titre renvoie à Sorcières (revue littéraire et artistique engagée fondée en 1976) et à la chanson d’Anne Sylvestre : Une sorcière comme les autres (1975). Deux références des années 1970 que l’historienne se propose ici d’étudier. Faut-il rappeler ici que la France des années 1970 connaît un profond bouleversement amorcé en Mai 68 ? Tout change ou semble changer : la politique (finie la stabilité gaullienne), la société, les mœurs, la religion, l’économie (crise pétrolière oblige)… Un contexte favorable à l’éclosion de mouvements féministes, dont le MLF (Mouvement de libération des femmes) est le plus connu, qui vont ébranler les catégories artistiques en place, les ouvrant aux cultures populaires, dont la BD et la photographie. En 1974, le président Giscard d’Estaing crée un secrétariat d’État à la Condition féminine. En 1975, les femmes obtiennent le droit à l’avortement et au divorce par consentement mutuel. Et pourtant, en 1972, la fameuse exposition voulue par Pompidou « Douze ans d’art contemporain en France » ne compte que 3,77 % d’artistes féminines, soit quatre femmes parmi lesquelles deux (Tania Mouraud et Gina Pane) seront par ailleurs décrochées avant l’ouverture de la manifestation (restent Sheila Hicks et Niki de Saint Phalle). Fabienne Dumont se propose donc, dans son étude dont l’approche universitaire pourra rebuter les lecteurs, de retracer l’histoire des femmes marquantes des années 1970, et de voir quelles artistes ont été oubliées – l’auteure parle « d’éviction » –, et comment elles l’ont été. Après une analyse quasi sociologique de la femme dans les structures officielles de l’art (écoles, musées, galeries, revues…), l’auteure s’intéresse aux « réseaux alternatifs » (dont l’Union des femmes peintres formée en 1881 et Féminie-Dialogue fondé en 1975) et aux discours idéologiques développés par les plasticiennes. Les chapitres les plus passionnants sont ceux de la dernière partie de l’étude (« Des œuvres sans critiques féministes évidentes ») qui porte sur les œuvres des artistes de l’époque, chacune étudiée individuellement. On y retrouve les noms que l’histoire a gardés (Annette Messager, Orlan, Pierrette Bloch, Tania Mouraud, Niki de Saint Phalle, Lygia Clark…) au milieu de toutes celles qui ont été évincées pour lire, au final, une nouvelle histoire de l’art.
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Des sorcières comme les autres
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Abonnez-vous dès 1 €Fabienne Dumont, Des sorcières comme les autres, artistes et féministes dans la France des années 1970, Presses universitaires de Rennes, 570 p., 26 €.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : Des sorcières comme les autres