L’œuvre de Duchamp est un défi lancé à la pensée. Ce n’est pas un hasard si les philosophes aiment s’y confronter, car elle possède ce qu’il faut de mystères, de cryptage, de concepts, de jeux de mots, d’érotisme aussi, pour exciter les esprits les plus enclins à phosphorer.
Cela explique aussi le grand nombre d’exégètes de Duchamp qui, s’il a permis de sortir son travail de la confidentialité après les grandes rétrospectives des années 1960-1970, a aussi brouillé son interprétation
en le surchargeant d’une épaisse couche de complexité analytique que n’a jamais voulue Duchamp. Philippe Sers le sait bien, qui entreprit en 2009, avec son Duchamp confisqué, Marcel retrouvé, de rendre à l’homme et à l’œuvre leur pouvoir de subversion.
À l’occasion de l’exposition du Mnam, le philosophe réédite donc son texte, en le remaniant suffisamment pour le réintituler L’énigme Marcel Duchamp, l’art à l’épreuve du cogito [Bibliothèque Hazan, 192 p., 16 €]. Son hypothèse : à force de tricotage, l’héritage duchampien a fondé « quelques graves malentendus », qui ont conduit « à l’idée que n’importe quoi peut être présenté comme œuvre d’art ». Or, nous dit Sers, « la vraie leçon de Marcel Duchamp n’est [pas] où elle est cherchée actuellement. Son apport ne réside pas dans la faculté que s’accorde l’artiste d’instituer la promotion du n’importe quoi au rang d’objet d’art. C’est l’acception même de la notion d’œuvre d’art qui est radicalement bouleversée. » On ne saurait donc trop en conseiller la (re)lecture avant de s’attaquer à celle de l’étude d’un autre écrivain-philosophe, Hadrien Laroche : Duchamp Déchets, Les hommes, les objets, la catastrophe [Éditions du Regard, 25 €]. La promesse est forte, sinon inédite : penser les ready-made au regard de la Première Guerre mondiale et inscrire la dernière œuvre de Duchamp (Étant donnés) dans la continuité de la Seconde.
Les premiers étant vu comme des « objets orphelins », la dernière comme la représentation de la vie nue après Auschwitz. Dans un libre cheminement intellectuel, l’auteur convoque Adorno, Lyotard – le déchet est une référence à celui-ci –, Benjamin, pour penser la signature, la main. L’humain. L’auteur tricote : « Pour ma part, je vois Duchamp en célibataire marié avec son nom. » Se permet quelques analyses bien vues : « La MARiée mise à nu par ses CÉLibataires, même est une mise en œuvre du prénom de MARCEL. » D’autres moins : « À mon sens, l’oubli complet de la main répond à la situation des amputés. » Jusqu’à la conclusion : « C’est parce qu’il s’est tourné vers les objets […] que Duchamp a été mieux à même de penser l’humain, le vivant, au XXe siècle. » Reste à détricoter tout cela.
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Multiple de duchamp
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : Multiple de duchamp