Fiscalité

L’évasion fiscale pour les nuls

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 21 août 2014 - 473 mots

Pourquoi l’évasion fiscale serait-elle forcément réservée aux riches ? Et si frauder le fisc était au contraire à la portée de tous, y compris de ceux à qui la manne ainsi soustraite à l’impôt devrait profiter au premier chef, c’est-à-dire vous et moi ?

Pour concevoir une telle idée, il fallait être un peu Robin des bois. Sans doute Paolo Cirio l’est-il à sa façon. Depuis une quinzaine d’années, l’artiste et hacker d’origine italienne aborde de front tous les sujets qui alimentent le débat public : surveillance, copyright, démocratie, peer-to-peer, mais aussi flux financiers. En 2011, il s’était déjà signalé en distribuant aux internautes des numéros de cartes de crédit virtuels – une manière selon lui de contrefaire le fonctionnement des grands organismes bancaires qui prêtent l’argent qu’ils n’ont pas. Farouchement décidé à nous exposer les dessous sales de notre système politico-financier, il récidive aujourd’hui avec Loophole4all (« l’évasion fiscale pour tous »), projet décliné sur plusieurs supports dont un site Internet, et lauréat en juin dernier du prix Ars Electronica dans la catégorie « Art interactif ».

Direction les îles Cayman, dont la particularité n’est pas seulement d’être un joyau caribéen frangé de plages de sable fin, mais aussi un paradis fiscal notoire (il s’agit du cinquième pôle financier mondial) où les sociétés les mieux installées vont blanchir leurs devises. Au terme d’un travail d’investigation digne du journalisme le plus scrupuleux, Paolo Cirio a identifié plus de 200 000 sociétés internationales enregistrées sur l’archipel. Une fois leurs coordonnées hackées, il les met en vente sur loophole4all.com, un pastiche de site Internet marchand où figure en bonne place cette accroche ironique : « Volez pour seulement 99 cents. » Perpétré au terme d’une inscription anonyme sur le site, le larcin est double : non seulement l’internaute qui participe au projet usurpe ce faisant l’identité d’une société réelle, mais il se voit alors promettre de frauder le fisc en toute quiétude. Sous couvert d’inviter le plus grand nombre à s’arroger les mêmes avantages que les multinationales, l’artiste, lui, déplie l’air de rien le mécanisme général de l’évasion fiscale. L’œuvre mêle le vrai et le faux, propose des certificats d’enregistrement factices, mais leur associe interviews d’experts et descriptions très détaillées du fonctionnement des sociétés offshore. Ce travail d’élucidation permet à quiconque d’accéder à la connaissance d’un système dont toute l’efficacité se fonde justement sur son opacité. Lucide, l’artiste se fait peu d’illusions sur l’impact réel de son œuvre, vu l’ampleur du phénomène et l’impuissance (sinon la complicité) des États. De toute façon, l’enjeu de loophole4all est sans doute ailleurs. Il consiste à rappeler qu’Internet est un levier d’empowerment et un pilier de la démocratie à l’ère du numérique, et suggère au passage que la transparence peut être le moyen le plus efficace de contrer l’iniquité des puissants. Codez, hackez, il en restera toujours quelque chose.

Légende photo

Paolo Cirio, Loophole4all, 2014, faux certificats d'enregistrement © Paolo Cirio

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : L’évasion fiscale pour les nuls

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