Les drones sont parmi nous. Longtemps cantonnés aux dystopies science-fictionnelles, ces aéronefs sans pilote investissent lentement mais sûrement le monde du renseignement, de la surveillance, de la logistique et du combat.
Discrètement généralisé par l’administration Obama, l’usage des drones militaires redéfinit ainsi peu à peu la manière dont l’Occident fait la guerre et inaugure une hygiène du combat fondée sur le désengagement total du corps de l’attaquant, situé à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations. Non content d’exécuter à distance, sans réplique possible, depuis un écran où l’identité des cibles se distingue mal, l’opérateur de drones obéit à une nouvelle logique de mise à mort : le simple soupçon suffit désormais à ordonner une frappe « préventive », et tant pis si c’est au prix de quelques victimes collatérales, femmes, enfants, vieillards, simples civils. Cette dissymétrie entre une flotte d’« armes sans corps » (l’expression est du philosophe Grégoire Chamayou, auteur en 2013 d’une Théorie du drone aux éditions La Fabrique) et des populations réduites à des corps indistincts taraude le monde anglo-saxon, où l’usage des drones donne lieu à d’âpres débats.
Elle mobilise aussi une poignée d’« artivistes » dont les œuvres se veulent autant de signaux d’alarme. Parmi eux, l’artiste et écrivain James Bridle. En 2013, cet Anglais de 34 ans imaginait une série d’interventions dans l’espace public : les Drone Shadows, littéralement « ombres de drones ». Simples et « low-tech », celles-ci consistaient en un marquage au sol semblable à celui qui signale les scènes de crime. Sauf qu’au lieu de corps, la silhouette tracée à la peinture blanche était celle d’un drone à l’échelle 1. Ainsi matérialisé, l’objet venait étendre sur l’Occident (ici à Washington, là à Brighton…) l’ombre de frappes menées ailleurs, dans de lointains pays en guerre. Il rendait ainsi visible une technologie dont la furtivité revendiquée renforce le pouvoir de terreur. Démasquer pour affaiblir, telle était la tactique des Drone Shadows. Dans la même veine, James Bridle poste depuis octobre 2012 sur le compte Instagram Dronestagram des vues satellite de sites afghans, yéménites ou pakistanais frappés par des attaques de drones. La photographie du site est assortie d’un commentaire qui précise les circonstances de la frappe, sa localisation et le nombre supposé de victimes. L’écart entre l’image postée sur le réseau social et le texte qui l’accompagne est saisissant. Il accrédite l’idée d’une guerre imprécise et aveugle, car menée à distance, et bat ainsi en brèche ce paradoxe sans cesse martelé par les états-majors selon laquelle les drones de combat, parce qu’ils permettent des tirs ciblés, seraient une technologie « humaine », voire « humanitaire »…
Dénoncer en filigrane l’inhumanité des drones en restaurant l’humanité de leurs cibles est aussi l’ambition de JR. En avril dernier, avec le concours d’artistes pakistanais et américains, le street artist français disposait dans un champ de la province de Khyber Pakhtunkhwa (Pakistan) la photographie monumentale d’un enfant dont la famille a été décimée par une attaque de drones. Tournée vers le ciel, l’œuvre interpelle directement les opérateurs de drones et redonne un visage aux cibles déréalisées de leurs attaques.
Au passage, elle souligne que la guerre des drones se livre aussi sur le terrain des images.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Drones d’artivistes
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Drones d’artivistes