Pour le Salon international du livre ancien, les libraires sortent leurs plus beaux livres illustrés par les artistes, un genre prisé des bibliophiles.
Sous la nef du Grand Palais, du 11 au 13 avril, le Salon du livre ancien attire comme chaque année collectionneurs et simples curieux. À cette occasion, plusieurs libraires présentent des livres illustrés par des artistes. Au fil des pages de ces objets rares et précieux, les plus grands peintres s’y dévoilent sous un jour nouveau, dans un dialogue intime avec un écrivain – et un lecteur. Sur ce marché, pas – ou peu – de spéculation. « Les amateurs sont de véritables passionnés, et les prix raisonnables – même si les pièces les plus importantes atteignent des sommes exceptionnelles », observe Isabelle Milsztein, directrice du département Livres et manuscrits chez Artcurial.
C’est au XIXe siècle que les peintres se piquent d’illustrer des ouvrages. Gustave Doré nourrit le rêve d’illustrer toute la littérature depuis Homère, tandis que Delacroix réalise en 1828 des lithographies pour la seconde traduction du Faust de Goethe, à la demande de son éditeur Charles Motte. Si l’écrivain et le peintre n’ont pas travaillé main dans la main, « on sait que Goethe les a vues et appréciées », rapporte Antoine Cahen, directeur de la galerie Terrades. Et à la fin du siècle, lorsque Mallarmé traduit le Corbeau d’Edgar Allan Poe et que Manet illustre cette version française du poème, les images acquièrent autant d’importance que le texte. Le grain est semé. Au cours de ce XXe siècle qui célèbre le dialogue entre les arts, les collaborations entre poètes et peintres se multiplient. Les premiers marchands d’art, Ambroise Vollard, puis Daniel-Henry Kahnweiler font dialoguer « leurs » peintres avec des poètes. En provoquant des rencontres artistiques, en s’intéressant aux caractères typographiques, ils ouvrent la voie aux éditeurs qui marqueront le XXe siècle : Iliazd, Tériade ou Maeght. Les plus grands peintres, Picasso, Chagall, Matisse, participeront à cette aventure.
Si le marché du livre de peintre des XIXe et XXe siècles est aujourd’hui international, Paris y tient une place importante. Non seulement grâce au Salon du livre ancien, mais aussi grâce à des ventes de pièces phares – comme La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars et Sonia Delaunay (481 000 euros chez Christie’s en 2012) ou le Jazz de Matisse (plus de 500 000 euros chez Artcurial en 2011).
Max Ernst et Iliazd
Ce sont (aussi) les éditeurs qui ont écrit l’histoire du livre illustré. Celui-ci a été publié par l’un des plus grands du XXe siècle : Ilia Zdanevitch, dit Iliazd.
Ce dernier a révolutionné le genre en débusquant des textes peu connus, qu’il publie avec des mises en page extraordinaires et une importante recherche sur la typographie. Dans Maxiliana ou l’Exercice illégal de l’astronomie, celui dont les ouvrages ont été exposés dans les plus grands musées du monde – le Centre Pompidou ou le MoMA – a demandé à son ami Max Ernst de s’inspirer du découvreur de planètes méconnu Guillaume Tempel.
Max Ernst, Maxiliana ou l’Exercice illégal de l’astronomie, écritures et eaux-fortes de Max Ernst pour commenter et illustrer les données d’Ernst Guillaume Tempel, mises en lumière
par Iliazd. Paris, Le Degré quarante et un, 1964. In-folio, couverture de parchemin illustrée, rempliée, chemise, étui de l’édition. Édition originale limitée à 75 exemplaires numérotés
sur japon ancien, signés par Iliazd et Max Ernst.
32 eaux-fortes en couleurs. Adjugé 67 564 euros en novembre 2005, Artcurial, Paris.
Apollinaire et Derain
Les exemplaires de tête – comme celui-ci, enrichi d’une lettre autographe d’Apollinaire – sont particulièrement prisés. De plus, L’Enchanteur pourrissant, mélange de poésie, de théâtre et de roman, publié en 1909 à 106 exemplaires signés par le poète et le peintre, fait date dans l’histoire du livre de peintre. En 1909, le marchand de tableaux Daniel-Henry Kahnweiler s’adresse à Guillaume Apollinaire pour publier un livre « de dialogue ».
Il laisse au poète, qui n’avait encore publié aucun recueil, le choix de l’artiste. Il sollicite André Derain, dont ce fut le premier livre illustré.
Guillaume Apollinaire, L’Enchanteur pourrissant, Paris, Kahnweiler, 1909. In-4°, maroquin fauve, plats ornés d’un réseau de filets dorés et à froid formant trois compartiments, avec bordures de rosaces aux extrémités, dos lisse, doublures et gardes de tabis havane, tranches dorées sur témoins (Gruel). 32 bois originaux de Derain dont 12 à pleine page. Exemplaire enrichi d’une lettre autographe du poète à Jean Mollet.
Prix : 55 000 euros, librairie Forgeot, Paris.
Gustave Doré pour l’Arioste
Passionné par la littérature, le peintre a illustré les plus grands livres du monde, de la Bible aux pièces de Shakespeare en passant par la Divine Comédie. « En général, il dessinait directement sur les plaques de bois qu’il donnait à graver. Pour l’Arioste, il a réalisé des dessins préparatoires qui ont été reproduits – ce qui est rare », commente le galeriste Antoine Cahen, qui proposera cette œuvre au Grand Palais. Ce dessin rare, l’une des plus grandes feuilles connues pour Le Roland furieux, est annoté du texte qu’il illustre dans la marge inférieure.
Gustave Doré, « Zerbin et Gabrine dans la forêt », illustration pour le chant XXI du Roland furieux de l’Arioste, 1879. Plume, encre de Chine et rehauts de gouache blanche. 49 x 38,5 cm. Signé et annoté : G. Doré/n° 13 « La coquine de vieille s’aperçut bien de la haine de Zerbin ».
Prix : 28 000 euros, galerie Terrades, Paris.
Villon et Creuzevault
Une reliure remarquable participe au prix d’un livre de peintre. Celle de ces Bucoliques de Virgile, traduites par le poète Paul Valéry et illustrées par le fondateur de la Section d’or Jacques Villon, est l’œuvre d’un des plus grands relieurs du XXe siècle : Henri Creuzevault, qui l’a réalisée au moment de la parution de l’ouvrage. « Il a fallu une dextérité extrême pour exécuter ce décor de mosaïque, qui répond aux dessins de Villon à l’intérieur de l’ouvrage », commente le libraire-expert Nicolas Hacquebart Desvignes. Un exemplaire identique à ce livre, édité par la société de bibliophiles Scripta et Picta en 1953, est conservé à la réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale. À voir au Salon du livre ancien !
Virgile, Les Bucoliques, Paris, Scripta et Picta, 1953. Grand in-4° (380 x 282 mm) de XXX-[2]-126-[9] p., 2 ff. blancs, maroquin bleu turquoise, bleu marine et violet formant trois larges bandes verticales sur les plats, avec mosaïque de triangles de veau sertis de filets à froid et dorés, disposés verticalement en forme de feuillage, dos de veau avec titre en long de lettres dorées, gardes de daim, tranches dorées sur témoins, couverture et dos conservés, chemise demi-maroquin noir à bandes et à recouvrements, étui bordé (Creuzevault – 1905-1971). Un frontispice et 44 lithographies originales en couleurs.
Prix : 15 000 euros, Artbiblio, Paris.
Questions à…
Qui est à l’origine du livre illustré : les peintres, les artistes, les éditeurs… ?
Les livres illustrés ont toujours existé. Mais les livres de peintre, c’est-à-dire les livres de dialogue entre deux expressions artistiques, au sens restrictif, apparaissent au XIXe siècle. Ils sont en général l’initiative d’un éditeur ou d’un marchand, qui offre à un poète et à un écrivain contemporains un atelier commun, en fonction d’affinités électives.
Qui sont aujourd’hui leurs collectionneurs ?
Ce sont parfois des amateurs d’art, mais le plus souvent des bibliophiles. Le rapport au livre est très particulier. Un tableau est unique. Un livre est édité à plusieurs exemplaires. Accrocher un Picasso dans son salon apporte de la reconnaissance. Regarder ses dessins dans un livre se fait dans un rapport plus intime.
Qu’est-ce qui fait le prix d’un livre ?
Il dépend du tirage – les exemplaires « de tête », enrichis d’une illustration, d’une lettre… sont les plus précieux –, mais aussi de l’importance du texte, de la qualité de l’image et de la cote de l’artiste. On prend en compte également le papier utilisé, l’état du livre et, éventuellement, de la reliure, si elle est contemporaine de l’édition.
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Les livres de peintres
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Abonnez-vous dès 1 €Salon international du livre ancien, Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e, du 11 au 13 avril 2014, www.salondulivreancienparis.fr
Librairie Benoît Forgeot, 4, rue de l’Odéon, Paris-6e, www.forgeot.com
Artbiblio, rue Raymond-Losserand, Paris-14e, www.artbiblio.com
Artcurial, ventes le 16 avril et le 13 mai 2014, www.artcurial.com/fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°667 du 1 avril 2014, avec le titre suivant : Les livres de peintres