Europalia, sur la route des Indes

De l’archéologie à l’art contemporain, en passant par la danse, la musique et le cinéma, le parcours ne peut être, bien sûr, qu’un survol. Dans cet océan d’images et de sensations, deux expositions d’envergure se détachent néanmoins : présentée au Palais des beaux-arts de Bruxelles (Bozar), la première est consacrée aux différentes perceptions du corps, la seconde traite de la fascination durable qu’exerce, depuis des siècles, le subcontinent sur les voyageurs et les artistes européens. Mais, comme souvent en Inde, terre assoiffée de mysticisme et de spiritualité, l’immersion se doit d’être totale, absolue…

Conçue par le grand historien de l’art indien Naman Ahuja, l’exposition « Corps de l’Inde » rassemble ainsi près de trois cents chefs-d’œuvre (sculptures, miniatures, manuscrits, textiles, bijoux, pièces tribales…) pour interroger les mille et une symboliques attachées à la corporéité dans la société indienne. Transcendant les siècles et les cultures, mais aussi les esthétiques et les religions (des statues bouddhiques côtoient des œuvres d’obédience jaïn ou musulmane), le parcours peut parfois dérouter… Mais que le visiteur néophyte se rassure ! Divisée en huit chapitres et rythmée par des petits textes aussi savants qu’inspirés, l’exposition explore avec brio des notions aussi fondamentales que la mort (perçue comme un passage et non une fin), les naissances miraculeuses (à travers l’évocation des dieux et des héros), le pouvoir des déesses-mères (tantôt maléfiques, tantôt protectrices), l’influence des planètes sur les destinées humaines (corps et cosmologie ont toujours fait bon ménage), sans oublier les innombrables chemins qui mènent à l’extase, érotique ou sacrée.

Ni péremptoire ni hermétique, le parcours invite ainsi le visiteur à une expérience autant artistique que spirituelle. Tour à tour sublimé, orné, sacré, mais aussi nié, effacé, refoulé, le corps y apparaît, au fil des siècles, comme le plus fidèle baromètre des fantasmes, des aspirations et des craintes. De ces déités hindoues, aux multiples bras signalant leur puissance, jusqu’aux corps juvéniles et parfaits de ces Bouddhas parvenus à l’éveil, en passant par les courbes sensuelles de ces apsaras (nymphes célestes) des temples de Khajuraho, l’inspiration des artistes indiens ne connaît guère de limites, encore moins de tabous…

C’est une histoire infiniment plus proche de nous que raconte l’exposition « Indomania ». Admirable passeur de cultures, son commissaire n’est autre que Deepak Ananth, historien de l’art qui signa, en 2005, la très belle manifestation « Indian Summer », à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. On retrouve ici la même jubilation à créer des chocs esthétiques, comme ces dessins de Rembrandt inspirés de miniatures mogholes, ce dessin érotique de Rodin qui collectionnait les sculptures indiennes, ces clichés célèbres de Cartier-Bresson aux côtés des photos tout aussi sublimes de Lucien Hervé ou de Werner Bischof, cette pochette de disque des Beatles présentée en regard des extraits de films de Renoir, de Louis Malle ou de Pasolini… Aussi foisonnante et parfumée qu’un plat de biryani, Indomania est une exposition savante et sensuelle, à savourer sans modération.