Joyau mondial de l’architecture mégalithique, la tombe à couloir de Gavrinis fait l’objet d’une procédure de classement à l’Unesco. C’est aussi un formidable laboratoire de recherche en plein air.
De la presqu’île de Rhuys à la rivière d’Étel, le Morbihan égrène un chapelet de sites mégalithiques uniques en Europe. Profondément ancrés dans la mémoire collective, ceux-ci font partie du patrimoine historique et sentimental breton. Pas un habitant de cette région qui ne se souvienne avec émotion de ses escapades au milieu des alignements de menhirs ou de dolmens, du jardin de ses grands-parents constellé de « pierres » appartenant au passé le plus lointain.
« Ces monuments font partie de notre identité, nous vivons dedans », résume avec une pointe de lyrisme François Goulard, le président du conseil général du Morbihan, qui caresse le rêve de voir Gavrinis inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Une hypothèse : des artistes graveurs de pierre
Il est vrai que peu de sites archéologiques dégagent une telle impression de grandeur, de mystère et de spiritualité. C’est au terme d’une brève traversée en bateau au cœur d’un paysage d’une pureté édénique que l’on atteint le petit îlot de Gavrinis, à quelques encablures du rivage, sur l’estuaire de la rivière de Vannes. Modeste de prime abord (malgré ses 50 m de diamètre et ses 6 m de haut !), le monument se présente sous la forme d’un cairn, c’est-à-dire d’un dolmen recouvert de pierres.
L’émotion atteint néanmoins son comble lorsqu’on courbe le dos pour pénétrer dans le saint des saints : un couloir souterrain de 14 m conduisant à une chambre simple, de forme quasi carrée, mesurant 2,50 m de côté. Le choc est radical. Mais dès que l’œil apprivoise peu à peu l’obscurité, une autre découverte, non moins spectaculaire, se fait jour : une « forêt » de gravures recouvrant – ou presque – une série de dalles soigneusement alignées. Sur la cinquantaine d’orthostates (pierres dressées) constituant le dolmen, seules vingt-trois d’entre elles portent en fait un décor orné, d’une stylisation parfaite. Pour l’archéologue Serge Cassen, qui dirige un programme d’enregistrement très précis en 3D des surfaces gravées, le doute n’est guère permis : « Si ces signes ne sont pas encore une écriture, ils en tracent le chemin. » Bien plus ! L’archéologue avance sans complexes le mot « artistes » pour décrire l’habileté technique et la science de ceux qui gravèrent dans la roche, au IVe millénaire avant notre ère, ces pictogrammes saisissants de beauté. Ici des lames de hache polies, là des bâtons ou crosses de jet, des arcs et des flèches, des signes phalliques, des bateaux semblant s’affronter, voire même la silhouette vue en perspective d’un cachalot !
Une interrogation : la signification des motifs
Mais au-delà de leur séduction graphique – qui devait tant impressionner Prosper Mérimée puis, dans son sillage, des artistes comme Henry Moore ou Tal-Coat –, leur signification profonde nous échappe encore. S’il apparaît probable que le cairn de Gavrinis était sans doute dédié au culte des morts, comment interpréter cependant son ornementation exubérante ?
Obéissant manifestement à une grammaire sophistiquée (on devine des rythmes, des césures, des oppositions), ces signes cabalistiques racontaient-ils des mythes de fondation, des histoires de lignage, des exploits héroïques et guerriers ? Il est vrai que le IVe millénaire est une époque riche en bouleversements économiques et spirituels, qui voit le passage du chasseur-cueilleur nomade à l’agriculteur-éleveur sédentaire. La région du Morbihan n’échappa guère, semble-t-il, à ces profondes mutations socioculturelles. Une élite en chassa une autre avec, semble-t-il, une certaine brutalité… Pour Serge Cassen, « l’association graphique bovin et boomerang renverrait ainsi au passé, tandis que le couple caprin et hache polie incarnerait ce qu’il y a de nouveau. Quant au cachalot, animal réputé particulièrement dangereux, il représenterait peut-être des peuples venus par la mer pour envahir ce territoire ».
Mais bien d’autres questions taraudent encore archéologues et historiens. Que penser ainsi de la signification de ces dalles de remploi, dont deux proviennent vraisemblablement de Locmariaquer, un site mégalithique distant de 4 km à vol d’oiseau ?
Quelque 6 000 ans plus tard, Gavrinis est devenu un laboratoire à ciel ouvert, un chantier expérimental d’archéologie. Il suffit, pour s’en convaincre, d’admirer Cyrille Chaigneau (médiateur scientifique au Musée de préhistoire de Carnac) et Marie Vourc’h (chercheuse rattachée au LARA de Nantes) en train de refaire, sous les yeux des visiteurs, les gestes cadencés et précis des graveurs de Gavrinis. Sans doute la meilleure façon de comprendre physiquement et mentalement l’univers poétique et sensuel de ces artistes du néolithique…
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Gavrinis, « la Sixtine bretonne du néolithique »
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Abonnez-vous dès 1 €Le cairn de Gavrinis est ouvert tous les jours de juin à septembre de 9 h 30 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 18 h 30. cairndegavrinis.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Gavrinis « la Sixtine bretonne du néolithique »