Les frères Chapuisat, confrérie à géométrie variable créé par Cyril et Grégory, ont envahi l’abbaye de Maubuisson depuis le mois de mars avec un labyrinthe de bois parcourable suspendu sous les voûtes centenaires.
L’œil : L’invitation à travailler à l’abbaye de Maubuisson était-elle libre ou, compte tenu de la situation patrimoniale, avez-vous soumis un projet ?
Grégory Chapuisat : C’est une invitation libre.
La conception a toutefois été différente du projet initial, pourquoi ?
L’installation actuelle est notre plan B, car le premier projet devait être réalisé en extérieur. Mais il est impossible de creuser le sol sur plus de vingt centimètres de profondeur, le site étant archéologique. Nous avons alors promis que nous ne toucherions pas aux murs ! L’installation est donc autoportante, juste posée au sol. La seule usure est à ce niveau-là.
Pour la structure autoportante, avez-vous consulté des ingénieurs ?
Jusqu’à présent, ce genre de proposition n’était pas tellement possible en France, pays qui réglemente beaucoup plus les accès publics qu’en Suisse. On a donc fait un très gros travail en amont et collaboré avec les bureaux de contrôle du département et de la direction du patrimoine, avec les pompiers. On les a tous conviés au moment où la première planche a été posée pour les inclure dans le processus. On a insisté sur le fait que notre approche empirique permettait de se plier à leurs recommandations à tout moment. Des contrôles étaient effectués tous les quinze jours.
Les pompiers du Grimp (Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux) aiment tellement l’installation qu’ils viennent entraîner leurs stagiaires en semaine.
Ce suivi ne s’apparente-t-il pas à un processus de surveillance ?
Non, on s’est très bien entendus, nous ne l’avons pas vu comme cela. Les intervenants ont été très ouverts et compréhensifs. Le bureau de contrôle technique a même dû adapter ses méthodes d’évaluation et de calcul pour ce projet non standard. Leurs formulaires techniques ont dû être révisés. Chaque pied en bois de l’installation a été contrôlé manuellement. D’ailleurs, l’équipe interne vérifie elle-même chaque élément toutes les semaines pendant la durée de l’exposition et répare en permanence. Les contrôles officiels sont mensuels pour certifier cette réalisation. On a fait un tel travail que le protocole de construction pourrait être certifié au niveau national. On pourrait reconstruire beaucoup plus facilement maintenant cette installation.
Si l’œuvre n’avait pas été réalisée dans un lieu patrimonial, le processus aurait-il été aussi compliqué ?
C’est aussi compliqué dans les lieux d’expositions classiques. À Saint-Nazaire, l’ancien bunker est régi par les normes du théâtre, il a fallu s’adapter. Avec le patrimoine, il y a plus de rapports avec l’administration, mais, au final, tout cela dépend de l’humain, de la qualité et de l’investissement de l’équipe. À Maubuisson, celle-ci a été formidable, avec une touche d’inconscience. Elle ne se rendait pas compte de ce qu’impliquait d’inviter les frères Chapuisat… C’est au moment où l’objet est apparu qu’il est devenu un monstre.
Combien de temps et de moyens ce projet a-t-il nécessités ?
Trois mois avec une équipe de huit à dix personnes. C’est un vrai chantier. On a créé une dynamique assez inhabituelle pour l’équipe permanente. Au niveau administratif et budgétaire, la gestion des dépassements et du stress a été intense. L’aventure a été forte. Encore aujourd’hui, le week-end, il leur faut gérer l’afflux de visiteurs : il y a la queue comme au Musée du quai Branly ! Le succès public et critique a rentabilisé largement tous ces efforts.
Quel regard portez-vous sur le mariage entre l’art contemporain et le patrimoine ?
Il n’y a qu’en France que les églises deviennent des centres d’art ! Dans notre cas, il a fallu envahir suffisamment le patrimoine pour se l’approprier. Pour un artiste classique, c’est certainement plus compliqué de trouver sa place. Pour nous, la juxtaposition est différente, plus simple. Au final, les visiteurs qui s’aventurent dans les hauteurs se baladent sous les voûtes. Ils ont une vision de l’architecture inédite, vue d’un chantier, depuis des échafaudages. Au niveau du sol, la couleur du bois se mélange avec la pierre et donne un résultat très plastique. On n’avait pas prévu un tel effet.
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Interview - Grégory Chapuisat
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Interview - Grégory Chapuisat