Elle ne se veut pas artiste et, à l’inverse de nombre de ses semblables, elle réfute toute idée de professionnalisation, préférant nettement la posture de l’amateur. Trente-quatre ans, les traits fins, le visage clair, les cheveux courts et blonds, léger pendentif autour du cou, elle porte une simple veste noire et s’exprime sans langue de bois. Camille Henrot est une artiste – tant pis ! – qui fait preuve d’une rare discrétion dans un milieu où on aime généralement bien se mettre en avant.
Cette ancienne étudiante de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, apparue sur la scène artistique au début des années 2000, développe depuis lors tout un travail de sculptures et de films qui s’apparente à celui d’un anthropologue. S’il fallait lui désigner une ascendance, on pourrait dire de Camille Henrot qu’elle est une enfant de Claude Lévi-Strauss, comme on dit de tant et tant d’artistes aujourd’hui qu’ils sont les petits-enfants de Duchamp.
« Là, j’ai appris que la beauté peut venir douloureusement »
L’artiste dit être dans un rapport d’inconfort avec son époque, voire avec son travail lui-même au fur et à mesure de son élaboration. C’est que Camille Henrot est quelqu’un qui ne cesse d’expérimenter plastiquement formes et matériaux. Elle considère que c’est en affrontant ce que l’on ne connaît pas que l’on invente et, de fait, sur ce terrain, elle s’aventure souvent à l’aveugle, mais à grands pas. En se posant notamment des questions fondamentales comme celle de savoir, par exemple, si l’art est ou non spécifiquement fait pour l’homme.
« Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ? », interrogeait l’an passé le titre de son exposition chez Kamel Mennour. La singularité de la formule faisait écho à toute une production de compositions aux allures d’ikebanas faits de fleurs séchées, de livres de sa bibliothèque et d’autres objets divers. L’artiste se plaît ainsi à constituer des œuvres sur le mode de l’assemblage et elle affectionne de mettre en jeu des registres qui sont ordinairement écartés.
Le titre de la meilleure jeune artiste qu’elle s’est vu décerner en juin dernier, à la 55e Biennale de Venise pour le film vidéo qu’elle a réalisé, opère ainsi sur le mode palimpseste. Intitulée Grosse Fatigue, son œuvre déroule une sorte d’histoire du monde faite de la succession de fenêtres sur l’écran d’un ordinateur suivant un rythme slam savamment dosé par Joakim Bouaziz.
Les images tombent les unes après les autres selon un scénario qui tente de brosser comme une genèse contemporaine. « Raconter l’évolution de l’univers en 13 min, ce fut très difficile. J’ai tendance à croire que la beauté des choses vient naturellement, facilement. Là, j’ai appris qu’elle peut également venir douloureusement, lentement », a-t-elle déclaré pour ce que l’expérience de l’œuvre relève toujours d’une telle dualité.
À l’idée d’œuvre, Camille Henrot accorde le potentiel de pouvoir agir sur le monde. Si elle appréhende le film comme « un support qui rend bien compte d’une pensée », en même temps « il y a quelque chose dans la fluidité du film » qui ne la satisfait pas complètement. Aussi, la sculpture et le rapport fétichiste qu’on peut avoir avec elle lui conviennent-ils en contrepoint.
1978 Naissance à Paris.
2001 Diplômée de l’École des arts décoratifs de Paris.
2010 Elle est nominée pour le prix Marcel-Duchamp.
2013 Elle reçoit le Lion d’argent à la Biennale de Venise.
l’exposition internationale, Giardini et Arsenale, Venise (Italie), www.labiennale.org
Camille Henrot est représentée par la galerie Kamel Mennour (Paris).
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Camille Henrot à Venise, la « meilleure jeune artiste »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Camille Henrot à Venise, la « meilleure jeune artiste »