Suisse - Foire & Salon

Art Basel et le poids de l’histoire

Par Frédéric Bonnet · L'ŒIL

Le 27 juin 2013 - 836 mots

BÂLE / SUISSE

Avec une très belle qualité et un commerce soutenu, 2013 fut un joli cru pour la foire suisse qui révise cette année ses classiques. Frédéric Bonnet

Du classique, mais du beau ! Du classique un peu jeune, du classique très classique, du classique tendance… La 44e édition d’Art Basel, qui s’est tenue du 13 au 16 juin, n’a pas fait mentir sa réputation de qualité, pas plus qu’elle n’a, cette année, été en mesure de proposer une offre attractive en dehors de son cœur d’activité, la section principale. Entre maîtres modernes et géants contemporains, milieux de carrière déjà confirmés et trentenaires à l’ascension fulgurante programmée déjà insérés dans d’impressionnants réseaux, il y avait peu de découvertes cette année.
 
De belles propositions dans un flot des plus moyens
« Statements », la section qui généralement permet d’en faire quelques-unes, s’est révélée particulièrement médiocre. Hors le projet du Sud-Africain Kemang Wa Lehulere présenté par Stevenson (Cape Town, Johannesburg), fort justement récompensé par le prix La Bâloise, point de salut, entre formes revues et même pas corrigées et accents de branchitude surjoués. L’une des palmes en la matière peut aisément être décernée à Overduin and Kite (Los Angeles), dont le prétentieux discours sur la conception d’une image accompagnant les pauvres objets d’Erika Vogt ne masquait pas une vacuité sidérale. Quelle que soit la foire dans laquelle apparaît cette galerie, surgit le même type de propositions navrantes, mais voilà, être admis à un salon est une affaire de réseaux autant que de qualité ; on tremble d’avance de les voir cette année débouler à la Fiac avec l’étiquette caution avant-gardiste !
Peu de salut également du côté d’« Unlimited » et de ses œuvres hors du format « classique », où quelques très belles propositions – Günther Förg (Greene Naftali), Pierre Huyghe (Marian Goodman ; Esther Schipper), David Zink Yi (Hauser & Wirth ; Johann König), Aaron Curry (Almine Rech), Marc Camille Chaimowicz (Cabinet) ou Teresa Margolles (Peter Kilchmann) – étaient perdues dans un immense flot des plus moyens. Agrandir cette année la section de près de 30 % en passant de 60 à 79 projets n’était finalement peut-être pas une si bonne idée que cela.
Du classique donc… et là les choses prenaient une tournure autrement plus attrayante. Au rez-de-chaussée s’enchaînaient des pièces d’exception : un drapeau noir en bois et cire de Robert Longo barrant le stand de Hans Mayer sur plus de sept mètres de long, une très belle série de sculptures de Louise Bourgeois chez Hauser & Wirth, un rare Franz Kline en couleur de 1959 chez Mitchell-Innes & Nash, une huile sur toile d’Oskar Schlemmer chez Richard Nagy, une esquisse d’un tondo de Mondrian sur papier marouflé datée de 1913 chez Blondeau & Cie… La fête était belle ! Chez les plus contemporains également, avec des accrochages pensés et soignés, comme chez Simon Lee avec un impeccable enchaînement de George Condo, Sherrie Levine et Christopher Wool, Magazzino avec son mur orange vif porteur d’une vitre et d’un néon de Pedro Cabrita-Reis, ou Catriona Jeffries et son installation de Gareth Moore singeant de vieux poteaux électriques faits de broc.

La réapparition de maîtres trop vite passés à la trappe
Alors qu’était patent l’attrait spéculatif autour d’une jeune peinture (Oscar Murillo, Sam Falls, Joe Bradley…) porteuse, plus de quarante ans après, de bien des aspects du courant Supports-Surfaces – que bien entendu ces artistes n’ont jamais vu et sur lequel ils feraient bien de se pencher –, manifeste était la réapparition de quelques maîtres un peu vite passés à la trappe, tel le Turinois Giorgio Griffa, 76 ans, dont Casey Kaplan ou 1900-2000 proposaient de subtiles traces d’aquarelle sur des voiles de lin laissés libres.
Autre peintre important, mais pourtant pas vu à la Biennale de Venise ni dans une grande exposition récemment, Günther Förg était partout avec des œuvres de presque toutes ses périodes, rarement photographiques mais surtout picturales, permettant d’embrasser l’immensité de son talent ; on les trouvait sur les stands d’une dizaine de galeries.
L’importance de l’histoire dans la compréhension des formes d’aujourd’hui, c’est aussi ce que donnaient à voir quelques belles propositions de la section « Feature », avec notamment un très bel ensemble de pièces de Robert Morris des années 1960 chez Leo Castelli, les tableaux de Julije Knifer chez Frank Elbaz ou, plus politiques, les belles mises en avant de l’Uruguayen Luis Camnitzer chez Parra & Romero ou de l’architecte Eduardo Terrazas chez Proyectos Monclova. Le formidable Ciprian Muresan se distinguait une fois encore chez Plan B (Cluj) avec une remarquable réflexion sur la volatilité de l’image et l’évolution du discours idéologique porté notamment par le poids de l’Histoire, au sens propre comme au figuré. Invisibles du public, des gravures étaient cachées par des copies de sculptures roumaines traditionnelles leur servant de poids. Des œuvres dont plus personne ne veut aujourd’hui, mais qui, en leur temps, valaient discours officiel : un beau pied de nez à l’autorité et une lucidité affirmée face aux effets de mode et à leur évanescence.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°659 du 1 juillet 2013, avec le titre suivant : Art Basel et le poids de l’histoire

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