Organisée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, la première rétrospective en France de General Idea rend compte, avec une rare efficacité, de la cohérence d’une œuvre à la fois conceptuelle et plastique. L’intelligence médiatique du trio canadien a ouvert une voie critique, suivie par nombre d’artistes depuis les années 1990.
PARIS - Le travail de General Idea n’est sans doute pas inconnu de ce côté de l’Atlantique tant ces Canadiens-là, très Nord-américains à bien des égards, doivent à l’Europe plusieurs de leurs beaux moments (à Genève, à Paris dès 1973, en Allemagne, en Italie, en Angleterre ou en Hollande). Mais la surprise, dans la rétrospective portée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), en collaboration avec l’Art Gallery of Ontario à Toronto, tient surtout à ce que l’œuvre, en plus de sa dimension conceptuelle ou de sa liberté, de son hétérogénéité formelle, se donne ici avec une force et une cohérence plastique que n’ont pu faire mesurer encore ni les catalogues ni les expositions comme celles, parisiennes, que la galerie Frédéric Giroux programme presque annuellement. Le parcours au MAMVP, conçu par les commissaires Odile Burluraux et Frédéric Bonnet (également collaborateur au JdA), a pris le parti non de la chronologie mais d’une construction thématique, qui souligne la grande continuité de l’œuvre commune des trois artistes (AA Bronson, Felix Partz et Jorge Zontal), et plus encore la force de l’esprit de ce travail, qui mêle critique sociale, sens de la mise en scène et ancrage dans la sphère de l’art comme territoire de prédilection – territoire privilégié en ce qu’il sait faire sien même les démarches qui s’affirment en s’en échappant. C’est assurément la grande diversité formelle qui frappe ici, puisque, sans négliger les références nombreuses et explicites à des artistes, Yves Klein par exemple, General Idea emprunte ses formes le plus souvent à des images et à des modes de représentations communs dans la vie sociale : presse et édition, télévision, rituels sociaux comme celui du vernissage ou, paradigme fondateur central durant les années 1970, du concours de beauté.
Mêlant transposition carnavalesque et activisme, General Idea trouve un de ses principes dans le travail collectif. Un principe cependant qui joue non pas sur un simple effacement de l’autorité de l’auteur, mais sur la constitution de ce que l’historienne et critique Élisabeth Lebovici désigne, dans sa contribution au catalogue, comme un « trouple », soit au-delà du trio ou du collectif d’artistes, la figure du ménage à trois et donc du ménage à trois homosexuel, dont la réalité comme la mise en scène constitue un défi multiple à la norme sociale.
Univers mythique
Mais si l’automise en scène a une place importante dans les travaux vidéo par exemple, c’est au travers d’une théâtralité, d’un goût du jeu, du travestissement, qui fait passer sans cesse de la réalité à la fiction. Ainsi General Idea consiste-t-il, dès son origine, en la production d’un univers mythique où fable et simulacre sont toujours en écho avec une effectivité d’activiste. S’il faut, certes, situer cette dernière dans les contestatrices années 1970, c’est bien à un ordre social présent que General Idea s’adresse. Mais, et c’est là sans doute que l’intelligence plastique ainsi constituée trouve une vigueur aujourd’hui toujours entière, et en tout cas irréductible à son seul contexte, il y a une justesse souvent décapante et jubilatoire dans l’usage des médiums requis, même et surtout quand la désinvolture, toute d’apparence, semble présider à la production des œuvres. Recommandons, par exemple, au visiteur de prendre le temps de regarder les 28 minutes de la pièce vidéo qui l’accueille à l’entrée de l’exposition, Test Tube (1979) : l’usage du cadre et de l’espace télévisuel, à l’appui des saynètes et des propos des artistes, éclairera l’ensemble de la démarche et du parcours. Cette intelligence médiatique critique trouve bien sûr sa visibilité maximale lorsque General Idea engage le cycle de travail qu’est l’affiche-logo-slogan AIDS, qui, à partir d’un tableau de Robert Indiana produit un emblème international pour faire une brèche dans le silence médiatique autour du sida. « Je pense que notre projet AIDS – qui a été critiqué pour ne pas avoir été assez explicite – était volontairement conçu pour éviter des questions sur la sexualité ou l’homosexualité. Il ne s’agissait que du mot. Et cela permettait au mot de se répandre davantage dans la culture des médias populaires, parce que nous étions conscients de cette discrimination », précisait Felix Partz en 1991 dans un entretien traduit dans le catalogue. Fabriquer des emblèmes, par détournement, retournement, déplacement et invention, ici sous forme de mot, ou comme à l’entrée de l’exposition du MAMVP avec les blasons peints, c’est là l’une des intelligences toujours actives de General Idea.
Commissariat : Frédéric Bonnet et Odile Burluraux
Nombre d’œuvres : env. 300
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le génie de General Idea
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 30 avril, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi jusqu’à 22h. Catalogue, éd. Paris-Musées, 224 p., 34 euros.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : Le génie de General Idea