Deux peintres ont fait la réputation artistique de Strasbourg autour de 1400.
STRASBOURG - Après Paris, Prague ou st au tour de Strasbourg de mettre en lumière son foyer artistique des années 1400. Pendant longtemps, les historiens de l’art ont limité leur appréciation de cette époque à l’aune du « gothique international » – ou weicher Stil (style velouté) en allemand. Ce style désignait un art souvent courtois, privilégiant les lignes sinueuses et les effets de préciosité, et qui aurait fédéré la création européenne. Quitte à négliger les spécificités de quelques brillants centres artistiques. Or, pour Philippe Lorentz, ancien conservateur au Louvre devenu universitaire et commissaire de cette exposition, c’est dans les villes que s’est épanoui l’art de quelques individus. Au tournant du XVe siècle, dans la région du Rhin supérieur, Strasbourg rayonne grâce au chantier de la cathédrale, qui rouvre après les travaux effectués sur sa façade occidentale. Avec une population estimée à 20 000 habitants, la ville ne bénéficie pourtant d’aucun mécénat spécifique, n’étant ni résidence princière ni même résidence du prince-évêque, alors que ce dernier est exilé à Saverne depuis le XIIIe siècle. Aristocrates, riches marchands et communautés religieuses y sont les rares commanditaires.
Hébergée dans le tortueux Musée de l’Œuvre Notre-Dame, à l’ombre de la cathédrale, cette exposition a requis pour sa mise en place le déplacement de la majeure partie des collections permanentes. L’exiguïté des salles a obligé à quelques acrobaties, telle l’installation dans la cage d’escalier d’un grand dessin de l’élévation de la façade occidentale de la cathédrale, qui nécessitait au minimum 4,10 mètres de hauteur sous plafond. Avec moins d’une centaine d’œuvres, la présentation n’est pas pléthorique. Elle suffit néanmoins à appréhender la vitalité du foyer strasbourgeois, tout en démontrant l’existence d’échanges avec d’autres villes européennes. Comment, en effet, expliquer la présence de quelques « Belles Madones » dans les églises de pèlerinage alsaciennes sans contacts avec l’art bohémien, où ces sculptures ont été créées à profusion ? Ces liens sont d’ailleurs avérés sur le chantier de la cathédrale, où ont œuvré quelques membres de la dynastie praguoise des Parler. La présentation de deux sculptures monumentales de l’octogone de la cathédrale, Le Clerc et L’Empereur, longtemps oubliées dans un dépôt lapidaire, illustre avec éloquence ces accointances.
Mais « Strasbourg 1400 » vaut surtout pour la présentation de deux peintres anonymes qui, à eux seuls, ont fait la réputation du foyer strasbourgeois. Le premier a longtemps été connu comme le Maître de la Crucifixion au dominicain, du nom du seul tableau qu’on lui connaît. Ce panneau – en réalité une peinture sur toile collée sur bois –, daté vers 1410-1415, conservé à Colmar, figure une crucifixion peinte sur un fond d’or gothique mais animée par une foule colorée de personnages aux attitudes expressionnistes. Pour Philippe Lorentz, cette exposition est l’occasion de proposer d’identifier cet artiste avec un certain Hermann Schadeberg. Cité dans les archives, celui-ci aurait animé un vaste atelier produisant cartons de vitraux et de tapisseries, et aussi quelques peintures aujourd’hui perdues. La proximité établie entre le saint Jean figuré au pied de la croix et celui d’un vitrail provenant d’une église de la ville, et exécuté d’après un carton dû à Schadeberg, en est un indice.
L’autre figure incontournable est le Maître du Jardin de Paradis, nommé ainsi en raison de son célèbre chef-d’œuvre, conservé à Francfort et prêté de manière exceptionnelle, le Paradiesgärtlein (vers 1410-1420). Ce petit tableau de dévotion, d’une très grande finesse d’exécution, mêle iconographie profane et thèmes religieux. La scène courtoise traditionnelle du jardin d’amour est ici transposée autour de la Vierge et de l’Enfant, la présence des trois Marie étant interprétée comme une préfiguration de la Passion. Plusieurs autres peintures, partageant un même répertoire de figures aux traits enfantins, sont attribuées à cet artiste, parmi lesquelles une très belle Vierge au fraisier (vers 1420, Kunstmuseum de Soleure) qui annonce la Vierge au buisson de roses de Martin Schongauer (vers 1470). La Nativité de la Vierge du musée, dont la composition est manifestement inspirée par un travail siennois, fournit quant à elle une preuve supplémentaire de l’importance des échanges avec l’Italie, y compris dans ce foyer provincial du gothique international.
Jusqu’au 6 juillet, Musée de l’Œuvre Notre-Dame, 3, place du Château, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 52 50 00, www.strasbourg1400.com.
Cat., Éd. des musées de la Ville de Strasbourg, 272 p., 40 euros, ISBN 978-2-35125-059-4.
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Un brillant foyer provincial
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires de l’exposition : Cécile Dupeux, conservatrice du Musée de l’Œuvre Notre-Dame ; Philippe Lorentz, pro fesseur d’histoire de l’art médiéval à l’université Marc-Bloch, Strasbourg - Scénographie : Jérôme Habersetzer
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Un brillant foyer provincial