Le Fresnoy remonte le « Jardin-Théâtre Bestiarium ». Un projet d’exposition radical, dans sa conception comme dans son « organicité » coopérative.
TOURCOING - C’est en premier lieu l’échelle qui frappe. L’exposition tout entière tient sur quelques dizaines de mètres carrés, au fond de la halle plongée dans le noir du Fresnoy, Studio national des arts contemporains, à Tourcoing (Nord). Gates of Heaven (1988), composition originale du musicien new-yorkais Glenn Branca, à la musicalité lyrique teintée d’un fond électro-minimal, coiffe l’ensemble et contribue à générer une véritable atmosphère propre à la déambulation contemplative, à laquelle il est impossible de se soustraire.
« Jardin-Théâtre Bestiarium » est un projet qui renaît après quelque vingt années de sommeil, sans avoir pris une ride, affichant à l’inverse une fraîcheur intacte. C’est à la fin des années 1970 que le galeriste, artiste et historien de l’art munichois Rüdiger Schöttle initie l’écriture d’un texte dans lequel un jardin imaginaire et allégorique voit se confronter des expériences artistiques et architecturales. Parmi les interventions dictées par son esprit, beaucoup sont le fait d’artistes qu’il défend déjà à l’époque, tels Dan Graham, James Coleman ou Fortuyn/O’Brien.
Sa rencontre, en 1987, avec le commissaire d’expositions belge Chris Dercon sera déterminante pour la concrétisation du projet. Avec le désir de donner un corps au scénario imaginé par Schöttle, ce dernier en développe la mise en forme et convie d’autres artistes comme Marin Kasimir ou Bernard Bazile. C’est en 1989 que, nommé au centre d’art P.S.1 à New York, Dercon le réalise, avant que Guy Tortosa, alors conseiller pour les arts plastiques de la région Poitou-Charentes, ne le fasse venir au Confort moderne, à Poitiers, avec l’aide de Dominique Truco, alors en charge de la programmation des lieux. Une forme encore un peu plus radicale lui est ici donnée, en ce que la disposition des œuvres y est beaucoup plus concentrée.
À ciel ouvert
Dans l’esprit de Schöttle, la forme du jardin est commode : elle regroupe nombre de questionnements qui, à travers l’histoire, touchent à la création artistique, à l’architecture et à la composition, en même temps qu’à la sociabilité et au façonnement des images, dont le déroulé suit le fil de la découverte.
La mise en scène de ces préoccupations sur des tables rectangulaires, au nombre de quatre, séparées par deux axes de circulation qui se croisent, renforce le caractère paysager de la proposition. Ce d’autant qu’au bout de la plus grande perspective s’égrènent, sur un mur, plus de deux cents diapositives de Ludger Gerdes (Sans titre), dont beaucoup concernent des vues de jardins allemands.
L’ensemble donne l’impression d’une expérimentation à ciel ouvert, d’un jardin de la Renaissance transposé dans une époque postmoderne, mais qui en aurait conservé tous les principes constituants : pièces d’eau (Les Gouttes d’eau en résine de Hermann Pitz) ; théâtres (avec le Cinéma = Théâtre de Dan Graham, le Circus gradivus : Théâtre maritime avec escalier de Rodney Graham, ou le nain de Juan Muñoz qui joue Le Souffleur) ; aménagements pour s’asseoir (Vue de jardin – Cascade – Vue de cour de Marin Kasimir) ; coin potager (avec les curieux Choux sans racines en cuir cloutés d’Alain Séchas) ; architectures folies (le Théâtre-loge avec son plan exposé comme un signe lumineux de Jeff Wall, dressé tel un étrange totem)...
À côté de cette dimension de paysage imaginaire s’affirme une réflexion cinématographique. Elle tient autant dans le très fort potentiel narratif que dans la succession, qui évoque un montage possible. Le tout porté par un vaste écran qui défendrait avec ardeur l’hypothèse de son horizontalité.
Aucun élément ne pouvant se dissocier des autres, sauf à perdre son sens et sa teneur, ce projet bat en brèche le sacro-saint principe moderniste de l’autonomie des œuvres. Et Schöttle enfonce le clou, avec des projections de diapositives venues du plafond – des images d’œuvres d’art, de cinéma ou d’événements politiques –, qui douchent et enveloppent les autres travaux. Même à l’intérieur de ce complexe, aucun élément ne peut plus être lu sans les autres, conférant à l’ensemble une sorte d’« organicité » utopique, portée par l’énergie d’un « work in process », où les propos et les univers forts des uns et des autres se confrontent, voire s’affrontent.
Il y a vingt ans, « Jardin-Théâtre Bestiarium » proposait une alternative au modèle de présentation des œuvres, avec un dispositif original qui, s’il n’est pas une exposition au sens traditionnel, ne peut non plus être perçu comme une œuvre commune. Peut-être une « œuvre-exposition » ?
JARDIN-THEâTRE BESTIARIUM, jusqu’au 23 mars, Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, 22, rue du Fresnoy, 59200 Tourcoing, tél. 03 20 28 38 00, mercredi-jeudi 13h-19h, vendredi-samedi 14h-21h, dimanche 14h-19h, www.lefresnoy.net. Catalogue épuisé.
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Un jardin coopératif
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Guy Tortosa - Nombre d’artistes : 14 - Nombre d’œuvres : 16
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Un jardin coopératif