Cinq ans de prison ferme et deux millions de francs d’amende ont été requis devant la cour d’appel de Besançon contre Guy Hain, principal prévenu dans une affaire de faux bronzes. Ce dernier a été l’instigateur de l’un des plus importants trafics de contrefaçons de ces dernières années, portant sur 6 000 pièces d’une valeur totale supérieure à 130 millions de francs. Le jugement a été mis en délibéré au 28 juin.
BESANÇON - L’affaire Guy Hain, dit le duc de Bourgogne, est exceptionnelle tant par le nombre d’œuvres et d’artistes mis en cause que par les sommes en jeu (130 millions de francs). Surtout, l’ampleur de la fraude a jeté un voile de suspicion sur tout un pan du marché de l’art, lui causant un important préjudice. Guy Hain avait déjà été jugé en juin 1997 par le tribunal correctionnel de Lure à l’issue d’une enquête lancée en Haute-Saône il y a tout juste dix ans. Condamné en première instance à quatre ans de prison, il n’y est finalement resté que quatorze mois. Les deux commissaires-priseurs associés à Rambouillet, Mes Faure et Rey, ont comparu en appel en même temps que le faussaire. Les officiers ministériels ont dispersé plusieurs centaines de pièces confiées par Guy Hain. Outre la confiscation de toutes ces œuvres litigieuses, qui ne seront pas restituées aux parties civiles, l’avocat général, Hubert Bonin, a requis cinq ans de prison et deux millions de francs d’amende à l’encontre de Guy Hain et un an de prison avec sursis et 250 000 francs d’amende pour chacun des deux commissaires-priseurs, relaxés en première instance. En revanche, aucune poursuite n’a été requise à l’encontre de Bernard Rudier, fils du fondeur Georges Rudier, lui aussi relaxé en première instance.
Un procès exemplaire
Durant les trois jours du procès qui s’est achevé le 12 avril, la cour d’appel a repris les éléments d’une longue enquête engagée en 1991 par l’inspecteur Vincenot, du SRPJ de Dijon, qui avait déjà été saisi dans l’affaire des faux Giacometti. Ce procès est exemplaire par le nombre d’œuvres d’art expertisées par Claude France et Gilles Perrault, 1 100 environ de 98 artistes dont de grands noms tels Rodin, Maillol, Claudel, Bourdelle, Barye, Carpeaux, Mène. Au total, Guy Hain aurait écoulé sur le marché quelque 6 000 sculptures – seul un tiers a été retrouvé –, dispersées sur de grands salons internationaux d’antiquaires comme TEFAF Maastricht, ou en vente publique, comme cet Âge d’airain de Rodin parti à 4 millions de francs à Drouot en novembre 1989. La seule étude Rey et Faure, impliquée dans le procès, aurait engrangé 12 millions de francs lors de ventes de sculptures litigieuses entre 1987 et 1991. Le procès est aussi exceptionnel par la facture totale des œuvres vendues par ce faussaire. L’ensemble était évalué à plus de 130 millions de francs en 1993. Solange Jonckheere, la compagne de Guy Hain, a, quant à elle, reçu sur ses différents comptes, de 1987 à 1991, 18 millions de francs. Enfin, les seuls frais d’expertise judiciaire s’élèvent à 1,5 million de francs.
La tenue du procès en Franche-Comté n’est pas fortuite. Guy Hain s’était en effet installé en Haute-Saône, attiré par la longue tradition de fonderie d’art de ce département. Les fondeurs sont en effet sollicités par les artistes pour couler le bronze sur des moules en plâtre qui peuvent servir à plusieurs tirages.
Original ou reproduction ?
En juin, la cour d’appel aura à répondre à deux questions. Dans quelle mesure, et selon quelles modalités, un éditeur d’art a-t-il le droit de reproduire des œuvres en bronze ? À cette interrogation s’ajoute, dans le cas de Guy Hain, la question de la signature du fondeur Rudier, dont il affirme détenir par contrat la marque, avec deux prénoms – Georges et Alexis. Il a, en effet, déposé celle-ci à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en 2000, en même temps que nombre d’autres, comme celle de Barbedienne. “En modifiant le cachet des sculptures sur lesquelles il apposait la signature d’Alexis Rudier, cachet alors utilisé pour les fontes officielles de Rodin, Hain a tout fait pour faire croire que ses productions étaient des œuvres originales, réalisées du vivant de l’artiste, sous son contrôle et non pas sous le cachet Georges Rudier qui n’a jamais œuvré du vivant de l’artiste”, explique l’expert Gilles Perrault. De plus, les lois sur la propriété artistique de 1920 et 1957 ne sont pas applicables en matière de bronzes. Un décret de 1967, complété par celui de 1981, accorde aux artistes, dans son article 71, une exonération de TVA aux huit premiers tirages, qui doivent être numérotés, et auxquelles s’ajoutent quatre épreuves d’artistes. Tout exemplaire réalisé au-delà de ce seuil est considéré comme une reproduction. La mention “reproduction” doit alors figurer sur la sculpture. Le décret omet cependant de préciser la taille et l’emplacement de cette mention qui apparaît souvent... en caractères minuscules.
L’œuvre de Rodin étant tombée dans le domaine public, il n’est plus question pour elle de droit patrimonial, mais de droit moral. “Le vrai faussaire est celui qui cherche à créer la confusion, notamment en falsifiant la marque des fondeurs”, a lancé l’avocat général à l’attention de Guy Hain. Hubert Bonin s’est appuyé sur un arrêt de la Cour de cassation de 1986, confirmé en 1991 : la reproduction la plus conforme est celle qui est voulue par l’artiste, celle conforme à ses caractéristiques et à ses dimensions (anciens alliages, plâtres anciens, etc.).
L’avocat de la défense, Me Emmanuel Marsigny, s’est lui surtout attaché au problème des Rodin. Il s’est interrogé sur l’atteinte morale à l’œuvre du maître, avant de souligner que les reproductions réalisées par son client, qui a eu recours au même fondeur et aux mêmes méthodes que l’artiste, étaient aussi parfaites que celles voulues par Rodin. “Quant à l’article 71, il est abrogé de fait puisque la loi de 1991 a supprimé toute exonération. L’article 71 n’entraînait d’ailleurs qu’une contravention de 5e classe”, tranche Me Marsigny, en demandant la relaxe de son client. L’affaire est mise en délibéré au 28 juin 2001. Elle pourrait ensuite être portée devant la Cour de cassation.
La personnalité de Guy Hain ne peut laisser indifférent. Cet autodidacte dijonnais, bavard et débordant d’énergie, incapable de tenir en place et de contrôler ses interventions durant le procès, s’est d’abord orienté vers le commerce de produits vétérinaires. Ses fonctions l’ont amené à visiter des professionnels… et à découvrir chez eux des bronzes animaliers de la fin du XIXe siècle en particulier, et la sculpture en général. Il achète en 1962 un Baiser de Rodin pour 50 000 francs de l’époque (500 francs actuels), puis une sculpture de Barye pour l’équivalent de 100 de nos francs… “Un passionné qui a du flair “, notera l’avocat général. Son manque de rigueur dans l’exercice de son métier lui vaudra cependant les foudres de la profession vétérinaire qui l’interdit d’activité. Il se lance alors dans le commerce de l’art, en ouvrant une galerie au Louvre des Antiquaires sous l’enseigne “Aux ducs de Bourgogne�?. À la fin des années 1980, le marché de l’art s’emballe. Le moment semble opportun à Hain de passer à la vitesse supérieure. Devenu éditeur d’art, il ferme sa galerie en 1988 et entre en contact avec le monde de la fonderie, notamment avec la célèbre famille Rudier, éditrice des bronzes de Rodin. Il rencontre chez Sotheby’s Georges Rudier, qui, avec son fils Bernard, a poursuivi le travail d’Alexis, l’ancêtre, installé à Châtillon-sous-Bagneux. Guy Hain crée de son côté un atelier de ciselure à Nogent-sur-Marne, puis, après avoir travaillé avec quelques fondeurs en Haute-Saône, rachète en 1990 la fonderie Balland de Luxeuil-les-Bains. Solange Jonckheere, son épouse avec laquelle il vit toujours bien que divorcé, gère l’affaire. Guy Hain met aussi en place un véritable réseau d’ateliers indépendants et inconnus les uns des autres dont il tient les commandes. Les bronzes circuleront alors entre les différents sites afin d’être reciselés et patinés. L’homme fait preuve d’un certain volontarisme. Après sa condamnation en 1997, il n’hésite pas à reprendre ses activités de faussaire durant ses périodes de libération sous caution. Il envisageait également de créer une fondation de promotion de la marque Rudier et une école de fonderie à Luxeuil. L’éditeur d’art travaillait avec un large éventail de signatures dont Rodin était sans doute la plus lucrative. Le sculpteur, dont l’œuvre est tombée dans le domaine public en 1982, a fait l’objet d’une forte demande à la fin des années 1980, en pleine période d’explosion du marché de l’art.
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Procès Guy Hain, une décision qui fera jurisprudence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°126 du 27 avril 2001, avec le titre suivant : Procès Guy Hain, une décision qui fera jurisprudence