Questions autour d’un Vermeer

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2001 - 849 mots

Invitée de dernière minute à l’exposition « Vermeer et l’école de Delft » de New York, La Jeune Femme au virginal attribuée au maître (lire le JdA n° 123, 16 mars 2001) sera présentée à Londres à partir du 20 juin. Si, à la National Gallery, l’opinion sur le tableau est pondérée, cette possible addition au catalogue de Vermeer divise catégoriquement Américains et Hollandais.

LONDRES (de notre correspondant) - En demandant le prêt de La Jeune Femme au virginal afin de la présenter dans “Vermeer et l’école de Delft”, Axel Rüger, conservateur à la National Gallery, semble admettre l’attribution à Vermeer. Ce sera la première exposition publique en Europe depuis 1907 de cette œuvre appartenant à un collectionneur belge, le baron Frederick Rolin. Axel Rüger reconnaît que La Jeune Femme au virginal est un véritable puzzle : “Certaines parties sont vraiment convaincantes, comme la manière dont la jupe est peinte et le reflet sur l’instrument, qui sont proches de notre tableau de la National Gallery, Jeune Femme debout devant un virginal.” Mais il ajoute que certaines autres parties sont réalisées avec moins de maîtrise et que “l’échelle du tableau et le champ restreint s’inscrivent mal dans les habitudes de Vermeer”. Les études techniques ayant démontré que le tableau avait été exécuté à l’époque de Vermeer, il est soit du peintre lui-même, soit de l’un de ses contemporains. Le conservateur londonien rappelle cependant que “Vermeer ne dirigeait pas d’atelier et n’avait pas d’élèves à l’époque concernée”. Accepter l’existence d’un disciple jusqu’à présent méconnu modifierait notre approche de l’artiste que l’on a toujours considéré comme isolé et méticuleux, travaillant seul. Une explication séduisante est proposée par Axel Rüger : La Jeune Femme au virginal pourrait être l’une des dernières œuvres de Vermeer, restée inachevée à sa mort en 1675. Le jaune de la robe présente deux couches et a été repeint avec moins de maîtrise ; cette seconde couche aurait été ajoutée peu de temps après la pose de la couche originale. “Il n’est pas impossible que le tableau soit resté dans l’atelier de Vermeer après sa mort et qu’il ait été terminé par quelqu’un d’autre”, suggère-t-il. Depuis la présentation de La Jeune Femme au virginal à New York, les spécialistes américains se sont montrés plus enthousiastes que leurs confrères hollandais. Selon Walter Liedtke, conservateur au Metropolitan, cette œuvre rappelle fortement le style et la technique du maître. Arthur Wheelock, organisateur de la rétrospective de 1995-1996 et conservateur à la National Gallery of Art de Washington, est “ouvert à toute proposition” concernant l’authenticité du tableau Rolin et se montre même aujourd’hui de plus en plus enclin à l’accepter : “Certaines parties du tableau sont très proches de ce que faisait Vermeer.”

Quant aux spécialistes hollandais, ils sont plus sceptiques. Frits Duparc, directeur du Mauritshuis à La Haye, a déclaré, à la vue d’une photographie de l’œuvre : “Le tableau Rolin est de piètre qualité et je ne peux pas croire que ce soit un Vermeer.” Il admet, cependant, qu’il pourrait dater de la fin du XVIIe siècle et être “inspiré de l’œuvre de Vermeer”. Ben Broos, conservateur chargé de recherches au Mauritshuis, rejette le tableau Rolin en des termes encore plus catégoriques, le qualifiant de “pastiche grossier des deux tableaux de femmes au virginal, conservés à la National Gallery de Londres”. Bien que plus mesuré dans ses propos, Albert Blankert, spécialiste de Vermeer, n’accepte pas l’œuvre non plus. “Certains éléments sont inspirés des tableaux de Vermeer, mais l’anatomie de la femme est aberrante et les mains ressemblent à des pieds de porc. C’est une imitation.” Gregory Rubinstein, de Sotheby’s, conseiller du baron Rolin, remarque que, jusqu’à présent, on ne connaissait le tableau qu’à travers de mauvaises reproductions, qui ne permettent pas de mesurer l’importance des repeints. Les rubans rouges dans les cheveux de la femme, par exemple, ont été ajoutés dans les années 1950, mais les traces du rouge d’origine sont perceptibles en-dessous. Le visage a également été retouché. Le tableau pourrait être proposé à la vente par Sotheby’s, mais le baron Rolin n’a pas encore pris sa décision.

Un nouvel éclairage sur les Vermeer de Londres

Si le tableau Rolin, La Jeune Femme au virginal, est finalement reconnu comme authentique, les spécialistes devront déterminer si les deux Vermeer de la National Gallery de Londres ne seraient pas finalement des pendants. Depuis de nombreuses années, le musée a décrété que La Jeune Femme debout devant un virginal et La Jeune Femme assise au virginal étaient deux œuvres indépendantes. Cette décision s’appuie en partie sur la présence d’un Vermeer isolé figurant une femme jouant du clavecin lors de la vente Dissius en 1696 ; on considère cette toile comme étant l’une des deux conservées à la National Gallery. Pourtant, la mention pourrait désigner le tableau Rolin s’il est authentifié (son prix, 42 florins, est trop bas pour les tableaux de la National Gallery, qui sont de plus grand format et plus élaborés). Walter Liedtke pense que les deux Vermeer de Londres sont en effet des pendants, datant de 1670-1672, qui auraient été séparés puis réunis par un heureux hasard plusieurs siècles plus tard.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°129 du 8 juin 2001, avec le titre suivant : Questions autour d’un Vermeer

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