Sur Internet, le public est invité à ajouter plusieurs chapitres à la biographie d’Édouard Boyer (né en 1966 au Havre), mais libre à lui de les vivre, et les illustrer ou non. À la Biennale de Paris, en 2004, on nous a mis face à la disparition fictive d’un Édouard Boyer âgé de trois ans : un logiciel de gendarmerie tentait de retrouver ses traits actuels. Depuis plusieurs années, l’artiste interroge l’image : son statut, sa production, sa profusion, sa circulation. À l’occasion de son projet « Snowi », présenté à Chatou et Bordeaux, après l’Espace Paul-Ricard à Paris, il répond à nos questions.
Que signifie « Snowi » ? Comment est né ce projet ?
« Snowi » est un acronyme récursif, le « s » de « Snowi », le « no » de not et le « wi » de Willem, pour dire : « “Snowi” is not Willem. » Ce projet est d’abord l’histoire d’une conversion ou reconversion professionnelle à de nouvelles compétences, à un nouveau métier, à un nouveau mode de représentation du monde. Mon travail artistique ne comptait jusqu’à « Snowi » aucun dessin, aussi, j’ai décidé de développer une production dessinée sous l’autorité d’un style déjà existant, de m’approprier et de disposer du savoir-faire de Willem.
« Snowi » désigne en même temps un style similaire au style de Willem, la production dessinée dans ce style et un outil proposé à l’usage de tiers, individus ou entreprises : c’est-à-dire que je mets au point un outil, une base de données, mais que je n’en suis pas l’utilisateur. Aux trois expositions correspondent donc différents usages.
Pourquoi trois expositions simultanées avec un même titre ?
« Snowi » a d’abord été conçu pour répondre à une invitation du CNEAI [Centre national de l’estampe et de l’art imprimé, à Chatou]. L’aspect proliférant de cette première expérience témoigne du plaisir de la découverte. Et, par la suite, les invitations à l’Espace Paul-Ricard et au capc[Musée d’art contemporain de Bordeaux] m’ont permis de solliciter des usages plus précis : les sous-titres distinguent bien ces différents projets : « Snowi strip » pour les comic strips du CNEAI, « Snowi nos valeurs » pour les publicités et le management de l’Espace Paul-Ricard et « Snowi » tout court pour les critiques du capc.
Les trois volets permettent de lancer de nouvelles perspectives à l’outil « Snowi » : au CNEAI, la dimension du libre jeu littéraire, à l’Espace Paul-Ricard, l’application purement professionnelle et au capc, l’usage le plus réflexif qui soit. En effet, au musée de Bordeaux, il s’agit de l’exposition des critiques de « Snowi », élaborées par l’utilisation même de « Snowi ». Pour cela, j’ai invité des personnes qui pouvaient professionnellement critiquer « Snowi » : dessinateurs de presse, dessinateurs de BD, critiques d’art, artistes, historiens de l’art ou du design… À l’espace Ricard, des agences de publicité ont répondu à un appel d’offres en vue d’une campagne publicitaire pour la boisson Ricard en utilisant les dessins « Snowi ». Mariette Strub, consultante en management, a conçu trois dispositifs de management à partir de trois sélections de dessins. Enfin, au CNEAI, cinquante-six invités ont inventé très librement cent dix comic strips à l’aide d’une interface accessible sur Internet.
Pourquoi avoir emprunté le style du caricaturiste Willem ?
Mis à part mon plaisir de goûter sa cruauté et son humour, c’est parce que son graphisme se nourrit de tous les graphismes, parce qu’il a beaucoup absorbé et que je peux à mon tour m’y perdre, ou m’y retrouver. Il le martèle : « Je n’ai pas de style », autrement dit pas de gros nez reconnaissable, mais des dessins-photo, des personnages de BD, des caricatures, des montages à la Bazooka, des allégories à la Steinberg… Une multitude d’influences, de sources, des légions que je veux bien accueillir.
Comment a-t-il réagi à cette « vampirisation » de son travail ?
Le geste inaugural de ce travail est l’autorisation que je lui ai demandée lors de notre première rencontre, chez lui, en septembre 2003. Je ne le connaissais pas avant et il a accepté immédiatement, amusé. Depuis, il suit de façon très élégante la progression des dessins et du projet global, en disant que « Snowi » ne ressemble en rien à ce qu’il fait, ou si rarement… Il vient aux vernissages et semble très attentif à cette dilatation de lui-même.
Pourquoi cette réflexion autour des questions de droits d’auteur, de la propriété intellectuelle, dans une époque saturée d’images ?
Davantage qu’une réflexion, il s’agit de faire l’expérience d’un abandon de maîtrise : maîtrise de soi, maîtrise d’un savoir-faire, maîtrise des frontières. Ne pas être indépendant vis-à-vis des circonstances m’intéresse. Sans capital propre, sans lieu propre, sans technique propre, c’est ce qui caractérise mon art. Pourquoi ne pas être un artiste de moins ? Un auteur de moins ?
CNEAI (Centre national de l’estampe et de l’art imprimé), île des Impressionnistes, 78400 Chatou, tél. 01 39 52 45 35. Jusqu’au 15 mai.
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Edouard Boyer
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Abonnez-vous dès 1 €CapcMusée d’art contemporain, Entrepôt, 7, Rue Ferrère 33000 Bordeaux, tél. 05 56 00 81 50. Jusqu’au 26 juin. (L’exposition à l’Espace Paul-Ricard, à Paris, a pris fin le 18 mars.)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Edouard Boyer