L’italie masque les statues antiques lors de la visite du président iranien

Au XIXe siècle, on dissimule la nudité des antiques du Louvre

Par Julie Paulais · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2016 - 796 mots

« Adieu lisse marmoréenne Vénus Capitoline, admirée depuis des siècles là-haut dans les musées du Capitole », se révolte le quotidien italien Corriere della Sera le 26 janvier 2016.

À l’occasion de la première visite à Rome du président iranien, Hassan Rohani, le Musée du Capitole décide de cacher pudiquement plusieurs statues antiques derrière des palissades, pour respecter « la culture et la sensibilité iraniennes » selon les autorités. Cette dissimulation temporaire orchestrée par le service du protocole du gouvernement de la République italienne a aussitôt provoqué une vague d’indignation, alors que « jamais en plus de deux siècles et demi quelqu’un a été offensé par sa visite du Capitole », souligne le Corriere.

Près de deux siècles plus tôt justement, à Paris, c’est le nouveau directeur des Beaux-Arts français, Sosthène de La Rochefoucauld, qui décide de censurer les antiques d’un autre célèbre musée, celui du Louvre. Une décision fortement contestée par les journaux éclairés et les artistes, qui s’insurgent contre ce qu’ils considèrent comme une pudibonderie bourgeoise malvenue et un attentat artistique.

Sosthène de La Rochefoucauld (1785-1864) fut pendant douze ans aide de camp de Charles, comte d’Artois. Lorsque ce dernier monte sur le trône de France sous le nom de « Charles X » en 1824, il est nommé directeur général des Beaux-Arts, des théâtres royaux et des manufactures, où il s’illustrera par « son respect pour la décence dans les arts » (1). Ultraroyaliste et fervent catholique, le vicomte de La Rochefoucauld est en effet resté célèbre pour son arrêté réglementant la longueur des jupes des danseuses de l’Opéra. Il récidive peu de temps après en demandant que la nudité de toutes les statues antiques du Musée du Louvre soit dissimulée par des feuilles de vigne en zinc. Une décision similaire à celle prise par la reine Marie Leszczynska, qui fit systématiquement voiler les sculptures des jardins royaux, selon l’auteur resté inconnu de l’ouvrage Tableau de Paris. Ainsi la Vénus callipyge copiée d’après l’antique par François Barois, aujourd’hui conservée au Musée du Louvre, se voit-elle « reculottée » pour ne pas effaroucher la pudeur des dames de la cour.

« Bête comme une oie ou comme Sosthène »
Prolongée par de nombreuses autres campagnes de censure, cette initiative du vicomte de La Rochefoucauld suscite des railleries dans la presse et dans les milieux artistiques. Le Journal des Artistes s’insurge en 1832 contre ces mutilations systématiques des statues antiques, qui masquent, « sous l’apparence d’une feuille de vigne informe, les attaches qui lient les cuisses au corps ; parties si difficiles à exprimer en sculpture, et où le talent des Grecs se faisait remarquer comme en toute chose ». En 1835, Théophile Gautier se remémore dans la préface de son roman Mademoiselle de Maupin les « quolibets lancés avant la révolution (c’est de celle de Juillet que je parle) contre ce malheureux et virginal comte Sosthène de La Rochefoucauld qui allongea les robes des danseuses de l’Opéra, et appliqua de ses mains patriciennes un pudique emplâtre sur le milieu de toutes les statues. […] Moi qui n’ai pas l’habitude de regarder les statues à de certains endroits, je trouvais, comme les autres, la feuille de vigne, découpée par les ciseaux de M. le chargé des beaux-arts, la chose la plus ridicule du monde ». George Sand invente même une nouvelle expression, dans une lettre adressée à son ami Franz Liszt : « je suis bête comme une oie ou comme Sosthènes [sic] » (2).

Malgré ces critiques acerbes, la pratique de la feuille de vigne est une constante du XIXe siècle, visant en particulier les chefs-d’œuvre de l’Antiquité classique, et elle n’est pas seulement l’apanage de la capitale française. En 1847, Gustave Flaubert parcourt la Bretagne et, s’arrêtant au Musée de Nantes, s’épouvante de l’usage « des feuilles de vigne en fer-blanc, qui ont l’air d’appareils contre l’onanisme ». Dix ans plus tard, la reine Victoria, choquée par la nudité de la copie en plâtre grandeur nature du David de Michel-Ange, offerte par le grand-duc de Toscane et présentée dans les galeries du South Kensington Museum, à Londres, commande immédiatement une feuille de vigne. Cette censure, comme pour celle des statues du Musée du Capitole, est seulement temporaire, la feuille de vigne n’étant apposée sur l’entrejambe du David qu’en présence de la reine. Tandis que les feuilles de vigne des musées français restent en place au moins jusqu’en décembre 1885, date à laquelle le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts et aux Cultes, face à l’ampleur de la contestation, promet solennellement la suppression de ces cache-sexe assimilés à une atteinte à la liberté artistique.

Notes

(1) Éloge de Sosthène de La Rochefoucauld, prononcé le 25 janvier 1865 par le Dr Abel Hureau de Villeneuve.
(2) Lettre de George Sand à Franz Liszt, datée probablement du 18 septembre 1835.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : Au XIXe siècle, on dissimule la nudité des antiques du Louvre

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