Le nouveau bâtiment de l’École des chartes vient d’être inauguré. Une école qui a rangé l’informatique parmi les sciences fondamentales de l’histoire.
Grand établissement d’enseignement supérieur, à la pointe de la recherche historique, l’École nationale des chartes n’a cessé, depuis sa fondation en 1821, de s’adapter aux évolutions de la recherche et des métiers du patrimoine. Elle a, au tournant des années 2000, résolument pris le virage du numérique. « C’est une école incroyablement ouverte », souligne Racha Kirakosian, 29 ans, Allemande d’origine syrienne, nommée professeure à l’université de Harvard où elle enseigne les langue et littérature germaniques et l’histoire des religions après avoir obtenu le diplôme de master en « Technologies numériques appliquées à l’histoire » créé par l’École en 2006, et un PhD [doctorat] à Oxford. « À l’étranger, l’École des chartes suscite un très grand respect. »
Chargée de recruter et former des archivistes paléographes, futurs conservateurs du patrimoine et des bibliothèques, l’École des chartes dispense un enseignement historiographique unique, pluridisciplinaire, tourné vers l’analyse des documents (matériaux archéologiques, livres, œuvres d’art, supports audiovisuels et électroniques…), l’étude du latin, des langues romanes, de l’histoire du droit et des institutions, ainsi que des cours relatifs à l’information électronique. Affirmant une double ambition, scientifique et professionnelle, élargie à trois cycles de master et au doctorat, l’École des chartes est aujourd’hui de plain-pied avec le XXIe siècle. « Vous êtes les archéologues du peuple, vous devez nous en restituer la profondeur », déclarait le président de la République, François Hollande, le 9 octobre, aux étudiants de l’École lors de l’inauguration de son nouveau bâtiment, en saluant, au passage, la contribution de l’établissement aux humanités numériques.
De la paléographie au jeu vidéo
« Le numérique change notre écosystème de la recherche », relève Matthieu Bonicel, 33 ans, conservateur à la Bibliothèque nationale de France, au département des Manuscrits où il est responsable de la mission « informatique et numérisation ». La numérisation des collections et des œuvres permet la mise à disposition sur Internet des données patrimoniales et la réalisation de nouveaux instruments de recherche (inventaire, catalogue, base de données). Elle explore de nouvelles méthodes de médiation (expositions virtuelles). S’instaure ainsi un rapport inédit à l’espace, au temps et à la société. Spécialistes des écritures manuscrites et des documents anciens, les élèves consacrent leurs thèses d’École à des thèmes variés comme le spectacle à Avignon ou l’histoire du port d’armes au Moyen Âge qui a mis au jour les liens entre les vocabulaires des conflits armés et biblique, ou encore le jeu vidéo. Toutes ces recherches supposent le croisement de sources multiples, rendu possible par les outils numériques. La question de l’« interopérabilité » des données est d’ailleurs au cœur du très ambitieux projet « Biblissima » qui réunit neuf partenaires, dont la BNF, et vise la création d’un portail interopérable sur le Moyen Âge et la Renaissance. Il s’ensuit que l’informatique est à ranger parmi les sciences fondamentales de l’histoire. Le champ des recherches se voyant élargi, la collaboration avec les institutions internationales étant devenu plus rapide, les amateurs étant associés, l’expert ne peut plus demeurer dans sa tour d’ivoire.
« Le numérique est un vecteur de compréhension du monde et d’engagement citoyen », constate Rémi Mathis, 33 ans, responsable des estampes du XVIIe siècle à la BNF et rédacteur en chef des Nouvelles de l’estampe (1), aussi président de 2011 à 2014 de Wikimédia France (qui gère Wikipédia). « Le numérique, ça ouvre la tête », relève de son côté Matthieu Bonicel. C’est ainsi qu’il s’occupe d’un théâtre associatif à Aubervilliers, Les Poussières, et anime des ateliers citoyens en parallèle à ses fonctions à la BNF.
Après l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques ou l’Institut national du patrimoine, les jeunes chartistes rejoignent les établissements nationaux ou territoriaux d’archives, des bibliothèques, des musées ou des monuments historiques. Les diplômés du master sont recrutés par le secteur privé (Total, CGI Business Consulting), les collectivités publiques ou l’Université pour créer de nouveaux services d’archivage électronique, de conseil, ou accompagner des recherches. En 2016, Racha Kirakosian, désormais membre du « Digital Arts and Humanities committee » de Harvard, poursuivra un cycle d’enseignement sur les grands textes littéraires. Avec des musiciens. « On reste amateur dans plein de domaines ! », rappelle Romain Wenz, 32 ans, conservateur aux Archives de France, qui souhaite sauter les frontières et accroître ses champs d’exploration. Le lien entre tous ? Le désir de connaître.
(1) Commissaire de l’exposition « Images du Grand Siècle », BNF, jusqu’au 31 janvier 2016.
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Les nouveaux « chartistes geek »
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Abonnez-vous dès 1 €Le frontispice de l'Ecole nationale des Chartes, à Paris. © Photo : Marie-Lan Nguyen.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Les nouveaux « chartistes geek »