Histoire - Vandalisme

Les destructions de Daech (groupe État islamique)

Les vandalismes à la Révolution française

Par Colin Lemoine · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2015 - 814 mots

Détruire, piller, saccager : les rapines menées par Daech envers le patrimoine ne sont pas inédites et, si elles s’en distinguent religieusement et culturellement, évoquent les heures sombres de la Révolution française.

Acronyme arabe de l’organisation État islamique, Daech incarne depuis plusieurs mois la barbarie, celle qui tue des êtres et qui anéantit  des œuvres. En Irak et en Syrie, l’annexion des territoires s’accompagne de symboles édifiants : hommes et sculptures voient leur tête tranchée, manière de signifier leur anéantissement radical, leur néantisation capitale. De toute évidence, les combattants de Daech entendent tout à la fois soumettre les individus et dompter le patrimoine, terrasser leurs adversaires et faire flotter sur le Musée national de Bagdad, comme sur Palmyre, le drapeau noir de la peur. Or, ce règne de la terreur en rappelle un autre, que l’imaginaire collectif français a effacé de sa mémoire : la destruction du patrimoine religieux pendant la Révolution.

Une tabula rasa idéologique
La Révolution française signe l’avènement d’une ère nouvelle, avec de nouvelles règles, de nouvelles lois et de nouvelles normes, toutes destinées à célébrer « l’Être suprême ». Puisque l’Ancien Régime est désormais un ancien monde, ses symboles sont à éradiquer – et l’Église en est un.

Le 2 novembre 1789, les biens de l’Église sont nationalisés et le 12 juillet 1790, l’Assemblée vote la Constitution civile du clergé qui entérine officiellement un changement de paradigme : les ordres religieux sont supprimés, les ecclésiastiques deviennent des officiers civils tenus de prêter serment à la Nation souveraine. Bouleversée, la France est dorénavant partagée entre prêtres assermentés ou constitutionnels, et prêtres réfractaires, lesquels seront bientôt massacrés ou déportés en Guyane. Un nouvel ordre est en marche, sans drapeau noir, mais avec une même aversion envers un passé méprisable qu’il convient d’annihiler : les autodafés se multiplient, le calendrier républicain est proclamé et l’Église désavouée. La peur règne. Certes, le royaume médiatique n’existe pas encore, la diffusion virtuelle de l’iconoclasme est à inventer, il n’en demeure pas moins que tous les moyens sont bons pour résilier et liquider ce passé corrupteur : « Il ne faut laisser aucun espoir à ces individus qui ont encore la démence de croire à la possibilité d’une contre-révolution et au rétablissement des bastilles » (arrêté du 21 août 1792 de la Commune de Paris).

Une destruction systématique
Le 14 août 1792, l’Assemblée nationale considère solennellement « que les principes sacrés de la Liberté et de l’Égalité ne permettent point de laisser plus longtemps sous les yeux du peuple français les monuments élevés à l’orgueil, aux préjugés et à la tyrannie ». Dont acte avec des destructions saisissantes, auxquelles Louis Réau réservera une somme pionnière et vertigineuse (Histoire du vandalisme : les monuments détruits de l’art français, 1959) : Notre-Dame est dédiée au culte de la Raison, des églises sont démolies comme l’abbatiale de Royaumont (1792), d’autres mutilées comme les cathédrales de Beauvais et de Senlis (1793), des jubés, châsses et flèches sont saccagés, des palais et châteaux dévastés. Tout symbole royal doit être supprimé. Les tombeaux de la Basilique Saint-Denis sont profanés durant les mois d’août et d’octobre 1793, tandis que les galeries des Rois – dont les Révolutionnaires oublient que ceux-ci sont issus de Judée et d’Israël, et non de France et de Navarre – sont systématiquement vandalisées, au motif que ces « gothiques simulacres (…) alimenteraient les préjugés religieux [et] rappellent la mémoire exécrable des rois » (arrêté du 2 brumaire de l’an II). Considérable, l’ampleur des destructions est difficilement quantifiable. Mais chacun peut, aujourd’hui encore, constater au portail de son église locale certains démembrements révolutionnaires : sculptures décapitées ou visages rabotés.

Conscience patrimoniale
Ces destructions suscitent toutefois de vifs débats au sein de l’opinion publique et enfantent les premières initiatives de sauvegarde artistique. Apparu en 1793, le terme « vandalisme » est repris l’année suivante par l’abbé Grégoire afin de dénoncer les destructions que commettent les « barbares et les esclaves » : « je créerai le mot pour tuer la chose », prédit-il. Dès le 6 juin 1791, Alexandre Lenoir veille, depuis le couvent des Petits-Augustins sur le Musée des monuments français, où sont déposées et inventoriées les nombreuses œuvres mises en péril par les révolutionnaires (sépultures d’Héloïse et d’Abélard, gisants de Louis XII et de François Ier…). De nombreux lieux de culte sont pillés, ainsi que le traduit un tableau de Victor Henri Juglar (1885) et un commerce d’objets s’organise, similaire au trafic d’œuvres qui accompagne le saccage artistique prôné par Daech.

Il n’en demeure pas moins que la Révolution, à l’inverse de la barbarie organisée par l’État islamique, permit non seulement d’abolir des injustices fondamentales, de défendre les droits de l’homme mais aussi de réveiller des consciences patrimoniales. Tandis que certains déboulonnèrent aveuglément les indices du passé, d’autres – curieux, archéologues et artistes – en tolérèrent les traces et entreprirent de les conserver. Détruire, mais pas à n’importe quel prix.

Légende photo

Victor-Henri Juglar, Pillage d'une église pendant la Révolution française de 1793, vers 1885, huile sur toile, Musée de la Révolution, Vizille. © Musée de la Révolution, Vizille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°442 du 2 octobre 2015, avec le titre suivant : Les vandalismes à la Révolution française

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