Exploration

L’espace conjugué à tous les temps

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2015 - 478 mots

Au Centre Pompidou, Dominique Gonzalez-Foerster étire son parcours sur deux siècles et projette le spectateur dans des paysages entre réel et fiction.

PARIS - Soudain le téléphone sonne, dans le vide. Personne n’est habilité à répondre, l’entrée dans Une chambre en ville (1996) n’étant pas autorisé au public. C’est Dominique Gonzalez-Foerster qui a fait installer cette ligne, aussi véritable qu’inutile, dans l’un des espaces de son exposition au Centre Pompidou, à Paris. Elle seule en connaît le numéro et s’en amuse. Le téléphone sonne donc, déconnecté de tous liens avec les autres canaux de communication présents dans cette installation pré-Internet : journaux, radio et mini TV, encore tous célibataires avant l’embardée des interconnexions qui se profile.

Des espaces ou des lieux plus que des salles, c’est bien ce qui habite cette exposition. Tous ont leurs spécificités, mais se rejoignent en installant le visiteur dans des atmosphères habitées et singulières : parfois portées par la pure fiction – telle cette évocation futuriste d’une étendue désertique directement sortie d’un roman de Roberto Bolaño, dans laquelle des livres auraient survécu Chronotopes & Dioramas (Desertic), (2009-2015) – ou d’autres fois fermement ancrées dans le réel, comme dans ce cabinet où à « intervalles aléatoires » l’artiste vient s’entretenir avec un visiteur afin de redessiner sa biographie (Séances biographiques, 3e session, 2015). Toutefois le réel se fraye toujours un chemin dans les dédales de la fiction : la chambre, si présente dans cette œuvre, n’est-elle pas le lieu où pensées et souvenirs ouvrent un boulevard à l’imaginaire d’un espace mental ?

Réalités parallèles
Tous ces espaces sont en outre marqués par une temporalité, réelle ou imaginaire, des dates inscrites en gros caractères sur les parois, qui permettent de dérouler plus loin encore le fil tendu par l’artiste. Cette chronologie commence en 1887, date d’édification du Splendide Hotel fréquenté par Arthur Rimbaud – auquel l’artiste a redonné vie en 2014 au Palacio de Cristal à Madrid –  et se déroule jusqu’en 2058, lorsque sur la terrasse du musée quatre lits prennent place sous une sculpture de Calder afin de se protéger de la pluie incessante (Dublinesca, 2012).

La trentaine d’œuvres rassemblées par la commissaire Emma Lavigne portent en elles pour la plupart une perte des repères et des temporalités. Comme si la condition du monde actuel ne pouvait être perceptible qu’à travers un perpétuel brouillage, comme lorsque s’abat le bruit d’une pluie tropicale et que l’espace d’un instant l’œil peut avoir la sensation qu’il pleut dehors, derrière les vitres (Promenade, 2007). Magnifique point d’orgue de ce parcours Cosmodrome (2001) est une plongée dans le noir avec des jeux de lumière et une musique composée par Jay Jay Johanson. L’œuvre semble synthétiser le monde de Dominique Gonzalez-Foerster, tant est alors présent le sentiment d’être ailleurs et à la fois un peu ici, dans un temps qui pourrait indifféremment être hier, demain ou un autre jour encore.

Dominique Gonzalez-Foerster. 1887-2058

Jusqu’au 1er février, Centre Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, entrée 14 €. Catalogue éd. Centre Pompidou, 224 p., 42 €.

Légende photo
Dominique Gonzalez-Foerster, Splendide Hotel (annexe), environnement, avec la collaboration du Museo Nacional Centro de Arte Reine Sofia, Madrid, Centre Pompidou. © Photo : Grégoire Vieille.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°442 du 2 octobre 2015, avec le titre suivant : L’espace conjugué à tous les temps

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