Ontologie

Une tentative de définition de l’humain

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 470 mots

La Synagogue de Delme tente de cerner l’humain en montrant justement ce qui ne l’est pas : le surhumain et l’humain.

DELME - Le couple prend son repas avec des gestes parfois gauches. Les propos de leur conversation évoquent le bonheur à venir. Dos à l’écran, un second déroule des agrandissements de la scène, rendus presque flous évidemment. Véritable perle de l’artiste japonais Meiro Koizumi, Defect in vision (Défaut de vision, 2011) affiche une sorte de langueur propre aux drames en train de se préparer, le calme avant la tempête que l’on ne verra pas. Eux non plus ne voient rien, acteurs aveugles qui jouent le dernier repas d’un couple dont le mari kamikaze va partir en mission pour sans doute ne jamais revenir ; deux êtres aveuglés par une idéologie autant que par un déni de réalité.
C’est une subtile exposition qu’a déployée au Centre d’art contemporain la synagogue de Delme la commissaire indépendante Anne Bonnin, second volet d’une réflexion sur une « réalité humaine non humaine » entamée il y a un an à la Fondation d’entreprise Ricard, à Paris. Soit une tentative de définir ce qu’est l’humain en donnant à voir ce qui ne l’est pas. Le titre au fort pouvoir évocateur, « La chose » en est bien vu, d’autant que dès franchi le seuil de la synagogue c’est tout de suite l’informe qui s’impose, l’indéfini qui accueille et intrigue. Face à la porte, une structure en métal légère et déformée du Roumain Mihut Boscu Kafchin pourrait être une arche invitant à un franchissement vers l’inconnu (Fake Stargate [Faux portail stellaire], 2014), tandis que du même artiste se déploie plus loin une mystérieuse figure serpentine porteuse des signes du zodiaque, qui semble évoquer l’inquiétude d’une perte de contrôle des forces environnantes. Lui répond une Medusa (2014) de Giorgio Andreotta Calo, en fait un fragment de pilier d’un ponton vénitien complètement rongé par l’eau, une création nullement maîtrisée par l’homme et devenue presque monstrueuse.

Du surhumain à l’inhumain
De toutes parts, le paysage de l’humain paraît ici surhumain. Mais après cette ouverture vers l’extérieur, la suite de l’exposition, à l’étage, ouvre un volet plus psychologique, intime, personnel et finalement inhumain. C’est là que l’on retrouve l’installation vidéo de Yoshiaki Koizumi, mais aussi la cohabitation d’un ensemble de dessins faussement naïfs et véritablement inquiets d’Anne-Marie Schneider avec des peintures et pièces graphiques de Miriam Cahn, dans lesquelles le corps est mis en jeu dans un étrange rapport à la violence. Tout comme est inhumain ce crâne en béton posé sur une couverture de Jean-Luc Moulène, déformé et disproportionné puisque basé sur un masque d’Halloween. La belle réussite de cette exposition tient dans le fait que dans toute sa part d’ombre, elle n’en demeure pas moins tenue et finalement lumineuse.

LA CHOSE

Commissaire : Anne Bonnin
Nombre d’œuvres : une tentaine

LA CHOSE, jusqu’au 16 juin, Centre d’art contemporain la synagogue de Delme, 33, rue Poincaré, 57590 Delme, tél. 03 87 01 43 42, www.cac-synagoguedelme.org, tlj sauf lundi-mardi 14h-18h, dimanche 11h-18h, entrée libre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Une tentative de définition de l’humain

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