Pour sa séquence estivale du cycle « Des histoires sans fin », le Musée d’art moderne et contemporain de Genève invite dix nouveaux artistes à occuper largement les lieux.
GENÈVE - Il faut ne pas compter son temps pour envisager la visite du Mamco, à Genève, et moins que jamais avec les dix artistes qui, en plus de l’accrochage évolutif de la collection de l’institution, en occupent pour l’été les quatre étages à l’occasion de l’avant-dernière exposition du cycle « Des histoires sans fin ». Le parcours, singulier, s’appuye non tant sur une cohérence formelle ou historique, mais sur un esprit, dans l’attention aux formes et aux processus de travail des artistes présentés, aux opérations intellectuelles comme sensibles mises en jeu. Un « esprit Mamco » que Christian Bernard, qui dirige le musée depuis plus de vingt ans – mais désormais plus que pour quelques mois, jusqu’à la fin de l’année 2015 –, a su imposer. Notons à ce titre que son successeur, qui sera désigné prochainement, héritera d’une marque qu’il y aura grand mérite à réinventer sans, espérons-le, en dissiper la singularité.
Les salles du quatrième offrent à un artiste genevois né en 1981, Denis Savary, l’occasion de proposer, sous le titre atmosphérique et paradoxal de « Neige de printemps », un ensemble de pièces sculpturales d’un ton déroutant. Les œuvres jonglent avec des matériaux improbables, leurs formes relèvent d’un imaginaire polyphonique et apparemment contradictoire : primitivisme, registre décoratif voire kitch, références vernaculaires (mais attachées à des cultures hétérogènes, l’aménagement domestique petit bourgeois comme la symbolique des Indiens de l’Ouest canadien). Le tout étant parfaitement nourri de la leçon de la sculpture moderne, celle-ci libérée cependant d’une bonne part de son sérieux. Références et métaphores s’offrent à qui voudra entrer dans le jeu, ouvert et kaléidoscopique.
Accrochage pertinent
Trois figures de peintres, de générations différentes, sont regroupées au premier étage, et même confrontées dans un accrochage presque croisé pour deux des artistes, puisque dans quatre salles en enfilade, l’un, l’autre et encore l’un et l’autre se succèdent. Leur pratique les rapproche, surfaces colorées touchant à la monochromie, dont les stratégies d’occupation de l’espace et de jeu avec les bords du tableau sont superficiellement apparentées. Mais là où Stéphane Bordarier remplit progressivement, comme lentement, la matière de Renée Levi signifie au contraire la vitesse du geste, sans plus de visée expressionniste chez l’un ou l’autre des artistes. Sauf confusion superficielle, le principe d’accrochage sert pertinemment les écritures, et en particulier la puissance très directe de la peintre bâloise. Hugo Pernet, en cadet de l’accrochage (né en 1983, il travaille à Dijon), joue quant à lui d’un rapport, tout aussi énergique, entre la figure brossée avec une apparente désinvolture et son fond, image acceptée en même temps que tenue à distance.
Trois pratiques relevant du dessin, catégorie ouverte, s’enchaînent plus loin, avec Carroll Dunham, Hayan Kam Nakache et François Martin. La salle de ce dernier est forte, qui rassemble quantité de dessins exécutés sur pages de cahier, répondant à l’écoute de messages enregistrés sur répondeur : l’écriture est libre, dynamique, et l’ensemble est installé sur un dédale de grandes tables en forme de journal. Les deux autres dessinateurs ont composé des salles habitées de dessins sous verre accrochés sur des murs colorés et parcourus de figures et de personnages « cartoonesques » tracées à la bombe.
Le parcours mène aussi aux ensembles monographiques condensés en deux salles dévolues à deux artistes bien représentés dans les collections du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Bretagne, d’où proviennent l’ensemble des pièces choisies par la directrice de l’institution, Catherine Elkar. Il s’agit de Raymond Hains avec ses jeux de mots visuels, sa manière de voir le verbe et de lire les signes au long des cinquante années de son itinéraire, et de Gilles Mahé, figure plus reconnue et révérée que connue d’un art de l’image et de la circulation des images, actif à peine vingt-cinq ans, de 1975 à 1999, année où il disparaît prématurément. Il faut s’attarder sur ses murs d’images où le partage entre original et reproduction s’évanouit, par la photographie express (Extra Rapide/Vite Vraiment, 1983), le dessin délégué aux mains d’amateurs (à l’école de dessin de Vitré, 1993-1996), la reproduction d’après mémoire et description subjective, l’édition d’artiste (sous la forme pionnière du périodique Gratuit, édité de 1979 à 1994).
Au cœur du parcours, une quinzaine de pièces réalisées de 1996 à 2015 par David Claerbout forment à elles seules une raison suffisante de se rendre au Mamco, huit ans après l’exposition du Centre Pompidou (lire le JdA no 267, 19 oct. 2007). Entre photographie, image animée et film sans cinématographie, l’artiste belge renouvelle à chaque projet, au terme de processus de production techniques complexes et invisibles, une exploration troublante dans la matière de l’image. La sollicitation d’une attention profonde et lente est explicite dans ses « light boxes » de très faible luminosité, magiques pour qui saura faire patienter son œil (série des « Venice Lightboxes », 2012). Par des techniques de composition et d’animation numériques, Claerbout formule un magrittien « ceci n’est pas un film », en emmenant le spectateur dans des temporalités parallèles, méditatives et captivantes. Il s’agit, selon la formule de Thierry Davila dans la monographie qui accompagne l’exposition, de « donner du temps ».
Commissaires : Christian Bernard, directeur du Mamco ; Thierry Davila, Paul Bernard, conservateurs au Mamco ; Catherine Elkar, directrice du Frac Bretagne
Nombre d’artistes : 10
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L’esprit du Mamco, toujours
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 13 septembre, Mamco, Musée d’art moderne et contemporain, Genève, 10, rue des Vieux-Grenadiers, Genève, tél. 41 22 320 61 22, www.mamco.ch, tlj sauf lundi 12h-18h, samedi-dimanche 11h-18h, fermé le 1er août et le 10 septembre, entrée 8 CHF (7,60 €). Publication, Thierry Davila, Shadow Pieces (David Claerbout), 2015, 192 p., 28 €.
Légende photo
David Claerbout, The Algier’s Sections of a Happy Moment, 2008, collection Guy Bärtschi, Genève. © Photo : Ilmari Kalkkinen/Mamco, Genève.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : L’esprit du Mamco, toujours