Le Musée de Meaux se penche sur le destin des musiciens virtuoses pris dans l’horreur des tranchées.
MEAUX - La musique et la guerre : curieux sujet dont s’était déjà emparé l’Historial de Péronne (Somme) en 2014, et que le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux (Seine-et-Marne) reprend à son tour dans une visée plus sensible, s’attachant à quelques trajectoires personnelles. Le projet était en gestation depuis longtemps, fruit d’une collaboration des équipes du musée avec l’ensemble de musique de chambre Calliopée, en résidence à Meaux dès 2011.
Au cœur de l’exposition « Mon violon m’a sauvé la vie » figure la destinée de Lucien Durosoir (1878-1955), interprète qui jouit d’une carrière internationale à l’aube de la guerre. Violoniste solo virtuose, il est mobilisé en 1914. À la fin de la guerre, il se réfugie dans les Landes, ne se produira plus jamais mais composera, secrètement.
Il y a dix ans, son fils retrouve ses œuvres et décide de faire découvrir cette musique, avec l’aide de sa femme, musicologue et professeur à la Sorbonne. « Le sujet est la musique sur le front, ses impacts et les conséquences ultérieures. Lucien Durosoir est devenu naturellement la colonne vertébrale du parcours, le fil rouge pour comprendre les destins de ces musiciens dans la guerre », explique Michel Rouger, directeur du musée.
Au-delà des archives, photographies, objets issus de la collection familiale de Lucien Durosoir, des prêts de la Cité de la musique (Paris) et des collections du musée, c’est surtout le parcours sonore jalonné de trente extraits de musique – à écouter sur l’audio-guide –qui permet de s’attacher à ces personnalités prises dans l’horreur de la guerre. Dès le début, une douche sonore fait s’envoler les notes élégantes de Mahler, Wagner, Saint-Saëns, Debussy. Trois ans plus tard, « Mon violon m’a sauvé la vie », écrit Lucien à sa mère. La recherche de virtuosité et la joie procurée par leur art deviennent le garant de la santé mentale des musiciens. Souvent brancardiers ou en charge d’unités colombophiles (vouées au soin et à la relève des pigeons voyageurs), ils se retrouvent dans les moments de calme pour improviser des compositions musicales. Le général Mangin, qui n’est pas encore le tristement fameux « boucher » du Chemin des Dames, fin mélomane, les réunit un temps dans un ensemble, « les musiciens du Général » : il y a là André Caplet à l’alto, Premier Prix de Rome et ancien chef d’orchestre de l’Ensemble de Boston, Maurice Maréchal, violoncelliste passé par le Conservatoire de Paris, ou encore le pianiste Henri Magne. Alors qu’à Paris les anciens Saint-Saëns et Debussy rejettent, par nationalisme, la musique allemande de Wagner, au front les problématiques sont tout autres. À consulter les programmes composés lors des concerts donnés pour le général Mangin, on joue volontiers Liszt, Wagner et d’autres Allemands qui font partie de la liste noire parisienne. L’art passe ici avant le nationalisme étriqué.
Bidon-mandoline
À Meaux se font face, presque cent ans après leur dernière rencontre, le violon de Durosoir, miraculé des bombardements, et le célèbre « le Poilu », le violoncelle de Maréchal fait de bric et de broc. L’inventivité prend le dessus lorsqu’un instrument manque : un bidon-mandoline, fruit de l’artisanat de tranchée, venu des collections du musée de Meaux, et un violon d’un camp de prisonniers allemand, acheté en 2014 par la Cité de la musique, illustrent ce recours obligé au système D.
Un dessin de Robert Werhlin, Portrait de Claude Delvincourt, représente ce pianiste, qui apprend que la mobilisation générale est décrétée en France alors qu’il séjourne à la Villa Médicis, à Rome, en 1914. Wehrlin le représente après la guerre, un œil manquant : en Argonne, le jeune soldat a échappé à la mort mais gardera des séquelles à vie ; en 1941, parvenu à la tête du Conservatoire de Paris, Delvincourt se battra pour soustraire ses élèves au STO.
Le catalogue de l’exposition fourmille d’informations. Il est accompagné d’un CD audio de l’ensemble Calliopée reprenant des œuvres de l’Allemand Rudi Stephan, fauché en 1915 à l’âge de 28 ans, de Louis Vierne (un magnifique ex-voto composé en 1918 à la mémoire de son fils Jacques, « fusillé pour l’exemple »), et bien sûr de Lucien Durosoir. Une belle manière de rendre hommage à la musique et aux poilus musiciens.
Commissariat : Georgie Durosoir, musicologue, professeure émérite à l’université Paris-Sorbonne, et Luc Durosoir, fils du musicien Lucien Durosoir
Nombre d’œuvres : env. 150
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La musique pour survivre
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Abonnez-vous dès 1 €Destins de musiciens dans la grande guerre, jusqu’au 31 décembre, Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, rue Lazare-Ponticelli, 77100 Meaux, tél. 01 60 32 14 18, www.museedelagrandeguerre.eu, tlj sauf mardi, 9h30-18h, entrée 10 €. Catalogue, Éditions Liénart, Paris, 178 p., 30 €.
Légende photo
Les musiciens du général Mangin, collection MuseÌe de la Grande Guerre – Pays de Meaux. © Fonds Durosoir.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : La musique pour survivre