Une poignée d’antiquaires occupe encore cette adresse autrefois prestigieuse dans un bras de fer avec le propriétaire des lieux qui veut le transformer en centre commercial de luxe.
PARIS - Depuis plusieurs années, les marchands du Louvre des antiquaires assistent au déclin inexorable du lieu et sont en conflit ouvert avec la SFL (Société foncière lyonnaise), propriétaire du bâtiment. Cette dernière a décidé de transformer l’espace, qui ne sera plus destiné au commerce des antiquités mais sans doute à la mode et au luxe. Elle se justifie en expliquant qu’elle ne souhaitait pas forcément changer la destination du lieu, mais a fait le constat suivant : le concept du Louvre des antiquaires, unique au monde, tel qu’il a été conçu à la fin des années 1970, est dépassé. « Le Louvre des antiquaires a joui d’un grand prestige, mais, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la SFL ni avec la volonté des commerçants antiquaires – le métier a évolué tant au niveau des goûts des clients que des canaux de distribution – ce modèle est à l’évidence obsolète », explique François Sebillotte, secrétaire général de la SFL. Fin janvier, la Commission départementale d’aménagement commercial a donné son avis favorable à un projet commercial « d’équipements de l’individu divisé en quatre grandes surfaces de 2000 m2 et trente boutiques », indique un spécialiste du marché. Ce qui ne sera possible que lorsque la totalité des lieux sera disponible. C’est bien là tout le problème.
Un déclin continu
L’immeuble, construit dans les années 1850 par les frères Pereire, a été cédé à la Caisse de retraite des employés des postes britanniques en 1973. Amie des arts, l’institution crée le Louvre des antiquaires, qui ouvre le 26 octobre 1978. Il y a huit ans, la caisse de retraite est rachetée par la SFL. Or, entre-temps, le Louvre des antiquaires, qui bénéficiait à l’origine de 250 emplacements, pratiquement tous occupés au milieu des années 1990, a périclité. De 220 en 2000, les antiquaires sont passés à une soixantaine en 2010, pour n’être plus qu’une poignée en 2015. Plusieurs ont quitté très récemment le navire pour le Carré Rive Gauche, comme les galeries Delalande, Bertrand de Lavergne ou Laurence Jantzen, leur bail étant échu. D’autres, comme Vincent L’Herrou, spécialiste en céramique, le quittent courant juin. Quant à ceux qui restent – ils se comptent sur les doigts d’une main – la SFL considère qu’« ils font traîner les choses. Nous sommes en fixation d’indemnités devant le juge. Elles s’élèveront à hauteur de la valeur de leur fonds de commerce. Encore faut-il qu’ils veuillent bien donner à l’expert les éléments qui permettent d’en arrêter le montant », indique François Sebillotte. « J’ai un bail jusqu’en 2019, alors je ne vois pas pourquoi je partirai avant cette date », déclare Monsieur Hassan. Vincent L’Herrou explique : « Tant que les marchands ont un bail et tant qu’ils n’ont pas reçu d’indemnités d’éviction, la SFL ne peut pas les faire partir et donc le lieu ne peut pas fermer. » Les antiquaires font de la résistance car au début, la SFL ne leur proposait pas grand-chose et plus ils ont résisté, plus les sommes proposées ont été conséquentes. « Les derniers commerçants en place sont des gens animés par une volonté assez éloignée de la valeur propre de leur fonds. Ils font un calcul primaire consistant à croire que plus ils restent, plus ils nous contraignent, et plus nous verserons d’indemnités », explique François Sebillotte. La SFL espère aussi que les difficiles conditions de travail des marchands (lieu désert, vitrines obstruées…) les forceront à partir avant. « Les visiteurs se demandent ce qui arrive à ce lieu, sinistré. Évidemment, cela n’invite pas à acheter », indique un marchand.
Irréductibles Gaulois
Jean-François Legaret, maire du 1er arrondissement de Paris, est embarrassé par ce dossier. « Je regrette ce lieu, mais il a décliné depuis un certain temps. C’est devenu le palais des courants d’air. Les commerces qui restent là, les irréductibles Gaulois, sont maintenus dans des conditions d’inconfort assez poussées alors je me suis immiscé dans ce conflit, notamment en demandant que les conditions de sécurité soient respectées et que le plan Vigipirate soit renforcé. Il y a eu des vols assez importants avec des préjudices lourds pour les bijoux anciens ». Le 5 avril dernier, un vol de bijoux anciens de près d’1 million d’euros a eu lieu. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas faire l’économie d’une phase de travaux car le lieu est vétuste. « Faisons les travaux et voyons ensuite ce que nous pouvons faire d’intelligent. Il faut être raisonnable : si un antiquaire a un bail jusqu’en 2025, on ne va pas attendre dix ans pour faire des travaux indispensables et avoir ce grand lieu totalement vide en plein cœur de Paris. Il y a déjà la Samaritaine ! », lance le maire.
Guerre des nerfs
Déjà en 2012, la SFL avait lancé le projet baptisé « écrin », qui avait pour objectif de rassembler les antiquaires dans un tiers de l’espace actuel, côté Palais Royal. La société proposait une quarantaine de coques commerciales, le tout dans un centre complètement refait. Seule une dizaine d’antiquaires auraient adhéré au projet, qui a donc été abandonné. « Si vous ne voulez rien, nous ne faisons rien et nous laissons tout en l’état », a rétorqué la SFL. « C’est faux, riposte un marchand sous couvert d’anonymat. Une majorité d’antiquaires souhaitait rester dans les lieux et du jour au lendemain, la SFL a annoncé que le projet ne se ferait pas ». Pour Vincent L’Herrou, « c’était un faux projet, un leurre pour masquer autre chose. La SFL projetait de nous rassembler dans de petits espaces, des bonbonnières. J’ai une triple vitrine au rez-de-chaussée, on me proposait un sous-sol ! Et si l’on souhaitait rester au rez-de-chaussée, les prix étaient triplés. Et puis nous n’avions plus les prestations comprises dans nos baux, comme la promotion. Le but était de nous dégoûter pour nous faire partir ou nous faire rentrer dans le rang ».
Ceci explique en partie la lente et constante hémorragie à laquelle a été confronté le Louvre des antiquaires. Mais d’autres raisons s’ajoutent. Pour Bertrand de Lavergne, qui y a tenu une galerie pendant trente ans et l’a quitté en mars, « au début, le Louvre des Antiquaires a joui d’une période faste, les centres commerciaux étaient à la mode. Mais au fur et à mesure, il n’y a plus eu la rigueur des débuts dans le choix des antiquaires. Beaucoup de filous se sont servi du nom, alors la réputation de cet ensemble a baissé. Et pour couronner le tout, nos concurrents disaient de nous que nous étions trop cher ». Vincent L’Herrou ajoute : « La SFL a laissé pourrir la situation. Quand les places étaient vacantes, elle les a préemptées et n’a jamais reloué. Des confrères de province et même de Paris voulaient intégrer le Louvre des antiquaires. Mais la SFL leur a répondu que c’était complet. » Ce à quoi François Sebillotte répond : « Contrairement à ce que certains antiquaires ont pu prétendre, nous n’avons pas du tout organisé leur éviction, notre intérêt était que cela marche. Certains antiquaires présents dans les lieux, devant le vide qui se créait, ont souhaité déplacer leur boutique. Nous ne pouvions pas déplacer les boutiques aux grés des uns et des autres, cela aurait créé une anarchie. Mais nous n’avons pas empêché la venue de nouveaux antiquaires. Il n’y en avait pas tout simplement. »
Dans ce genre de situation, tout repose sur la négociation. Il faudra bien trouver un compromis pour qu’aucune des deux parties ne soit lésée et que la situation se débloque. Si la SFL a profité de l’obligation d’une mise aux normes (pas d’accès handicapés, problème d’amiante) pour faire « évacuer » les locaux, les marchands sont bien conscients qu’il aurait été compliqué, après restauration, de réunir à nouveau 200 marchands. Le Louvre des antiquaires est bel et bien une page en train de se tourner.
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Le Louvre des antiquaires à l’agonie
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Abonnez-vous dès 1 €Le Louvre des antiquaires, Paris. © Photo : F. Zoetermeer.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Le Louvre des antiquaires à l’agonie