Contraints de faire des choix, les musées nationaux se portent vers des acquisitions très particulières.
En 2013, d’après les éléments recueillis pour le Palmarès des Musées du Journal des arts, les musées nationaux totalisaient 247 millions d’euros d’acquisitions d’œuvres d’art tous modes confondus – achat, don, legs… Près de 198 millions étaient redevables au seul Centre Pompidou, avec d’importantes donations. Les dépenses globales de l’année 2014 – 68 millions d’euros – doivent donc être observées avec précaution : abstraction faite des acquisitions du Centre, l’année 2014 accuserait une forte baisse par rapport à 2013. Restrictions budgétaires oblige, les musées se montrent toujours plus sélectifs au moment de remplir leur mission d’enrichissement des collections. Quitte à acheter peu, ils achètent bien…
Origine irréprochable
La tragédie patrimoniale qui se joue actuellement en Syrie et en Irak (lire page 36) et le trafic illicite qui en découle font de toute acquisition d’antiquités un exercice périlleux. L’achat en ventes publiques de 23 tablettes, scellements et cônes cunéiformes datant de l’époque néo-sumérienne (vers 2200-2000 av. J.-C.) et de l’époque perse achéménide (fin VIe-IVe siècle av. J.-C.), provenant de basse Mésopotamie, est à ce titre parfaitement exceptionnel pour le département des Antiquités orientales du Louvre. Réunies à la fin du XIXe siècle par le colonel François-Maurice Allotte de la Fuÿe, ces pièces présentent un pedigree irrépochable (200 000 €). Effectivement en archéologie, l’origine d’une pièce influe sur sa désirabilité. Dispersées peu après de leur découverte en 1879, les quelque 1 800 pièces celtibériques du trésor de Barcus font courir les numismates. Tel ce denier d’argent du type dit de Barskunes donné au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye par sa Société des amis.
Commanditaire prestigieux
Une provenance prestigieuse est, elle aussi, gage de caractère unique, au point qu’un achat peut prendre des allures de trophées. Le Musée de l’Armée et le château de Fontainebleau ont joint leurs forces et s’en sont remis à la Fondation du patrimoine pour financer plus de 80 % de l’achat de l’habit et la cape de cérémonie du Maréchal Ney, dessinés par Jean-Baptiste Isabey (580 000 €). Classé « trésor national » en octobre 2011, la tenue provient directement des héritiers Ney d’Elchingen, et sera présentée en alternance à Fontainebleau et aux Invalides. La souscription publique lancée par la Bibliothèque nationale de France a une nouvelle fois été payante : le manuscrit des Douze Césars du peintre de cour et enlumineur Jean Bourdichon (1457-1521), classé « trésor national » en novembre 2013, serait le troisième manuscrit que François Ier aurait conservé après avoir offert un exemplaire similaire à Charles Quint et Henri VIII à l’issu de l’entrevue du camp du Drap d’or en 1520 (2,40 M € dont 300 000 € de dons). De son côté, le Musée du Louvre a pu compter sur sa Société des amis pour partager à parts égales l’acquisition des pots à oille et leurs plateaux du Service Walpole (5,55 M€). Classés « trésor national » en juillet 2013, les deux pots en argent ciselé en 1726-1727 par l’orfèvre du roi, Nicolas Besnier (1686-1754), qui portent les armes de George Ier et de l’ambassadeur d’Angleterre Horace Walpole ont fait partie d’un service commandé par ce dernier en poste à Paris et ont miraculeusement survécu aux dévastations révolutionnaires. Soucieux de rassembler le patrimoine royal, le château de Versailles n’a pas hésité à préempter une paire de bras de lumière en bronze ciselé et doré, qui ornaient l’antichambre de l’appartement de Marie-Louise-Elisabeth de France, duchesse de Parme et fille aînée de Louis XV, à Colorno (398 600 €). Enfin le château de Malmaison a bénéficié du soutien d’Axa pour remettre la main sur une paire de vases pot-pourri produits par la Manufacture royale de porcelaine de Berlin. La reine Louise de Prusse avait fait cadeau à Joséphine Bonaparte de ces deux vases dont le décor représente des vues du parc de Malmaison. Le musée s’était vainement battu contre la galerie Neuse de Brême en 2011, lorsque les vases étaient mis en vente chez Dorotheum à Vienne. Adjugés 455 800 € (est. 80 000-120 000 €), les vases ont été ainsi revendus trois ans plus tard au musée [...] 790 000 €.
Malgré la possibilité de préempter un bien aux enchères, un musée, forcé de présenter en commission ses projets d’acquisition, n’a en effet pas la même souplesse financière qu’un marchand. Ce même cas de figure s’est présenté au Musée Rodin, enchérisseur malheureux d’un dessin du sculpteur, Celle qui fut la Belle Heaulmière, chez Sotheby’s en décembre 2013 (adjugé 200 000 €). La galerie de Bayser a remporté le dessin dédicacé par l’artiste au journaliste et critique d’art Maurice Guillemot, racheté quelques mois plus tard 290 000 € par le musée, grâce au soutien de ses visiteurs par le biais de l’opération « un euro pour un Rodin ». Dans cette catégorie des œuvres qui se distinguent par leurs annotations, la Bible calviniste publiée par Henri Estienne à Genève en 1565, acquise par le château de Pau grâce au don de sa Société des amis, a pour particularité d’inclure un petit texte manuscrit relatant la bataille de Coutras, première grande victoire militaire d’Henri de Navarre sur les troupes royales menées par le duc de Joyeuse.
La patte du collectionneur
Dernier facteur d’importance pour la valorisation d’œuvre : le collectionneur. Premier projet de taille de la Wiener Werkstatte en 1903, la chaise dessinée par Koloman Moser pour l’appartement viennois d’Hans et Gerta Eisler von Terramare à Vienne – dont Gustav Klimt a effectué le portrait – était particulièrement désirable aux yeux du Musée d’Orsay (550 000 €). Il en va de même pour cette plaque d’ivoire sculpté de Trébizonde, datant du VIe siècle, très chère aux yeux du Musée national du Moyen Âge Cluny car elle provient de la prestigieuse collection de Jean-Joseph Marquet de Vasselot, ancien directeur des lieux (2,50 M €). Le passage de la paire de dessins préparatoires à une série de vitraux sur le thème de la Passion, collés recto-verso et signés Nicolaus Hogenberg (1498/1502-v. 1539) par la collection de Madame Vivian Neal, puis celle d’IQ Van Regteren Altena exposée à Paris par la Fondation Custodia en 1976, est également gage de sérieux pour le Musée du Louvre. Or le Fogg Art Museum de Boston, propriétaire d’un dessin de la série Neal, a récemment retiré l’attribution à Hogenberg. Comme le Metropolitan Museum of Art et le Rijksmuseum, le Louvre se tient à cette attribution qu’il considère comme « la plus satisfaisante », quitte à attendre « d’autres découvertes qui permettront soit de confirmer l’attribution, soit d’attribuer la série à un autre artiste. » Dans le jeu des acquisitions, il faut aussi savoir prendre des risques.
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Abonnez-vous dès 1 €Nicolas Besnier, orfèvre du Roi, Deux pots à oille du Service Walpole et leurs plateaux, Paris, argent fondu, ciselé et gravé. © Sotheby’s
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Un choix d’experts