La valeur totale des œuvres entrées dans les collections publiques a été divisée par quatre par rapport à 2014.
Nous écrivions en septembre 2013 en préambule du bilan des acquisitions de l’année précédente, « 2012 pourrait bien être une année record dans l’enrichissement des collections publiques ». Grâce à la donation Lambert, mais pas seulement, les collections publiques s’étaient accrues de près de 200 millions d’euros, contre une moyenne de 100 millions par an au cours des dix dernières années. Pourtant ce record potentiel a été balayé dès l’année suivante par de nombreuses donations exceptionnelles au Centre Pompidou, dont deux tableaux importants de Matisse ainsi qu’une importante dation d’une vingtaine de toiles de Jean Rafael Soto portant le montant total à près de 250 millions d’euros. Hélas, 2014 a stoppé net cette dynamique ascensionnelle ramenant le montant des acquisitions à son niveau le plus bas, autour de 70 millions d’euros, soit une dégringolade de 30 % par rapport à 2011, avant les bonds de 2012 et 2013.
Un contexte défavorable
Comment expliquer cet effondrement ? Est-ce conjoncturel ou structurel ? Une première explication s’impose naturellement lorsque l’on confronte les envolées des prix des œuvres d’art sur le marché à la baisse ou la stagnation des ressources publiques. En huit ans, les crédits de l’État pour les acquisitions ont été divisés par plus de trois, et depuis trois ans ils sont stabilisés à un niveau historiquement faible de 8,3 millions d’euros. Un montant ridicule par rapport à la litanie des adjudications record de chefs-d’œuvre en ventes publiques. Un montant insuffisant également pour multiplier les effets de levier. Car bien souvent, le financement de l’État vient en complément d’autres financements qu’il encourage par sa caution.
Corrélativement, l’État a mis en place des incitations fiscales pour motiver les entreprises à apporter leur contribution lorsqu’un musée veut acheter un « trésor national » ou un bien culturel « dont l’acquisition présenterait un intérêt majeur pour le patrimoine national ». Le dispositif est très rapidement monté en puissance au point que depuis 2014, la dépense fiscale correspondante est supérieure aux crédits d’acquisition : 10 millions d’euros selon les experts de Bercy contre 8,36 millions de crédits de paiement. Mais il est loin de compenser la baisse des budgets, la somme des deux montants est même en forte baisse depuis quelques années, passant de 43 millions en 2006 à 18 millions en 2014. Pour autant « on n’observe pas de tension sur ce mécanisme », relève Robert Fohr, qui pilote la cellule mécénat au ministère de la Culture. Les acquisitions qui sont financées par le mécénat ne concernent qu’un petit nombre d’œuvres et d’entreprises (26 en 2013) et sont complexes à mettre en œuvre. Paradoxalement, malgré la difficile situation économique des entreprises, 2014 aura été une bonne année pour ce canal d’acquisition avec un montant total de 20,4 millions d’euros œuvres (valeur totale), pas très loin du record de 2009 (28 millions d’euros). Mais les chiffres ne sont pas forcément parlants, puisqu’en l’espèce, les archives Turgot acquises par les Archives nationales grâce à un mécénat de la Banque de France pèsent à elles seules 8,5 millions d’euros.
Les chiffres manquent pour mesurer le poids du mécénat populaire, mais il est certain qu’il reste anecdotique en valeur monétaire. Depuis la campagne de souscription des Trois Grâces de Cranach qui avait permis au Louvre en 2010 de lever un million d’euros auprès de 5 000 particuliers, les appels au public se sont multipliés au point d’être de moins en moins audibles auprès des médias. Cette inflation est d’autant plus problématique que ces campagnes visent moins à lever de l’argent auprès des particuliers, qu’à donner envie aux entreprises de donner tout en flattant l’image du musée citoyen. Ce territoire comme disent les publicitaires, est d’autant plus encombré que tout le monde culturel ou presque fait maintenant appel au mécénat populaire.
Des donations en panne
La baisse des donations est en fait le facteur le plus lourd expliquant la chute de 2014. Bon an mal an, les donations représentent près des deux tiers de l’enrichissement des collections publiques. Après les années fastes qu’ont été 2012 et 2013, 2014 fait pâle figure. Le tableau (voir ci-contre) des principales acquisitions indique la faible contribution des dons et legs. La donation la plus importante a été réalisée par le peintre Erró à l’occasion de sa rétrospective au Musée d’art contemporain de Lyon. On notera avec intérêt que le Centre Pompidou n’avait aucune pièce de Jeff Koons dans ses collections avant que le MNAM (après le château de Versailles) ne lui consacre une importante rétrospective qui a enrichi l’artiste, ses galeristes et ses collectionneurs, et qu’il n’en a toujours aucun après le show. L’artiste n’a pas jugé utile (à ce jour) de céder un de ses multiples au deuxième musée d’art contemporain du monde. Contrairement aux pays anglo-saxons et aux États-Unis en particulier, il n’y a pas une tradition forte de donation d’œuvres d’art, cela reste une exception. Peur du fisc, absence de reconnaissance à hauteur de la donation, complications administratives, de multiples raisons expliquent cet état de fait. Une raison peu connue tient au rôle des conservateurs directeurs de musée. Aux États-Unis ce sont eux qui, par leur réseau et leur charisme, convainquent les donateurs. En France, le statut public des conservateurs, leur manque d’empathie en la matière, l’absence totale de reconnaissance publique, en dehors du petit cénacle muséal lorsque l’un d’eux obtient une donation, ne favorisent pas ce qui pourrait être une émulation. Il faut s’appeler Alfred Pacquement, pour qu’en témoignage de sympathie et saluer son départ, Ellsworth Kelly et Pierre Soulages offrent des œuvres au MNAM.
Il y a donc bien une part structurelle et une part conjoncturelle pour expliquer la baisse de 2014. Reste que si les chiffres en valeur absolue sont en berne, il ne faut pas conclure à une crise. 323 000 objets de toutes sortes sont entrés dans les collections publiques en 2014. Si les grands chefs-d’œuvre sont moteurs pour le rayonnement du musée, les tableaux d’histoire, les paysages locaux, les objets archéologiques ou d’arts décoratifs sont importants pour densifier une collection et aider les conservateurs à « raconter une histoire » plus argumentée aux visiteurs. Une vue ancienne de sa ville acquise 1 000 euros en ventes publiques intéressera souvent bien plus le public local qu’un Matisse à plusieurs millions d’euros.
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2014, un mauvais cru pour les acquisitions
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Abonnez-vous dès 1 €Félix Vallotton, Le Toast, 1902, huile sur carton, 49 x 68 cm, Musée d'Orsay, Paris. © Photo : Musée d'Orsay, Dist RMN/Patrice Schmidt.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : 2014, un mauvais cru pour les acquisitions