À Paris à l'occasion d'une donation, le collectionneur d'origine indonésienne Budi Tek commente la scène artistique asiatique.
Le Centre Pompidou, à Paris, a reçu en donation cinq œuvres de quatre artistes chinois – Ding Yi, Xu Zhen, Zhang Enli, Zhao Yang – offertes par cinq collectionneurs : David Chau, Adrian Cheng, Andrew Xue, William Zhao et Budi Tek. D’origine indonésienne, ce dernier a établi à Shanghaï en mai 2014, dans un ancien hangar d’aviation, sa propre structure, le Yuz Museum. Il commente l’actualité.
Vous avez offert au Centre Pompidou une œuvre de Ding Yi (Appearence of Crosses 94-11, 1994) en même temps que d’autres collectionneurs chinois effectuaient eux aussi des dons. Pourquoi cette action commune et comment a-t-elle été décidée ?
Adrian Cheng, collectionneur philanthrope et président de la Fondation K11, a organisé il y a quelques mois la venue en Chine de Bernard Blistène [directeur du Musée national d’art moderne], ce qui a rendu possible cette action commune. Monsieur Blistène a visité de nombreux ateliers d’artistes et m’a parlé de sa rencontre avec Ding Yi, dit qu’il était très enthousiasmé par son travail, mais n’avait malheureusement pas la possibilité d’acquérir une de ses œuvres. Cela m’a ému et j’ai commencé à penser que nous pouvions peut-être faire quelque chose car le don constitue l’une de mes traditions. Ce n’est pas une position soudaine, même si c’est la première fois que je le déclare dans un entretien, car je ne veux pas en faire une posture. J’ai donné des œuvres à la Tate Modern [à Londres], mais aussi une grande œuvre au Today Art Museum de Pékin l’année dernière, ou encore récemment plusieurs œuvres au Brooklyn Museum [à New York]. Je suis donc très heureux d’offrir au Centre Pompidou une œuvre de très grande qualité. Après cet engagement plusieurs collectionneurs ont décidé de se joindre à ce mouvement sans que je sache exactement comment car je n’ai pas suivi cela, mais le résultat est que cinq œuvres ont été offertes et j’applaudis.
Le Centre Pompidou revêt-il à vos yeux une importance particulière ?
Il y a quelques mois, j’ai visité l’accrochage de la collection permanente et j’y ai vu de nombreux artistes chinois, ce qui m’inspire beaucoup de respect. Je ne peux pas donner à de trop nombreuses institutions, nous devons donc identifier quels sont vraiment les « musées-cibles » pour l’art contemporain chinois, et je crois que le Centre Pompidou en est un car on y respecte l’art chinois. Le Brooklyn Museum fait de même ; ils rénovent actuellement un espace dédié aux artistes chinois qui ouvrira en 2017 et j’ai promis de leur donner six œuvres.
Quand et pourquoi avez-vous commencé à collectionner de l’art contemporain ?
La collection a commencé par des œuvres anciennes et modernes il y a une vingtaine d’années, et je me suis mis à l’art contemporain il y a dix ou onze ans car il y a un concept dans l’art contemporain, mais aussi un langage qui est toujours en évolution. C’est ce processus évolutif qui m’intéresse. Par exemple, je suis récemment allé à Los Angeles et j’ai vu de nombreuses formes d’art très différentes de celles que j’ai collectionnées depuis des années, j’ai donc commencé à y prêter attention, notamment beaucoup de vidéos ou de formes d’art scientifique liées à la technologie.
Diriez-vous que vous vous sentez engagé dans des formes ou des idées en particulier ?
Non. Il est possible de voir que je collectionne beaucoup d’œuvres de très grandes dimensions, des installations immenses, mais aussi beaucoup de peintures, et en particulier de peintures historiques de l’art contemporain chinois. Mais concernant les jeunes artistes, je m’intéresse désormais beaucoup aux Occidentaux car ils représentent le futur, ils peuvent créer le cadre et les tendances du futur, ce que je ne vois pas trop parmi les jeunes artistes chinois.
Pour quelles raisons ?
Je ne parle pas d’individus, mais en général ; jusqu’ici, je ne le vois pas, ce qui ne signifie pas que les Chinois ne le feront pas. Mais j’ai vu beaucoup d’artistes qui répétaient des choses, avec notamment des influences de grands maîtres. Ils devraient créer leurs propres formes et se séparer de ces influences. En revanche, j’ai vu de nombreux artistes à New York ou Los Angeles qui créent un mouvement, c’est ce qui m’intéresse et me surprend. Je ne dis pas que cette forme-là va avoir du succès ou que cette tendance peut être le futur, mais ils essayent quelque chose, c’est ce qui m’encourage à les collectionner. Nous ferons l’année prochaine une grande exposition de ces « nouvelles tendances » et vous pourrez juger si ce que je dis aujourd’hui est pertinent ou pas.
Pourquoi avez-vous décidé d’établir votre musée à Shanghaï et non en Indonésie d’où vous êtes originaire ?
Nous avons ouvert un premier musée à Jakarta en 2008, puis nous l’avons temporairement suspendu il y a deux ans car nous n’avions pas de public alors que j’en ai trouvé un à Shanghaï. Mais dans le futur nous pensons ouvrir un nouvel et grand espace à Bali, de manière à garder une présence en Indonésie.
Que pensez-vous de la situation de l’art contemporain en Asie aujourd’hui et des équilibres dans la région, en termes de marché mais aussi de lieux d’exposition ?
La cartographie est très claire. La Chine, à cause des taxes, est plus dans un versant académique, un site de production avec beaucoup d’ateliers, des constructions de musées à Shanghaï et à Pékin, et de très petites foires qui ont du succès et sont devenues intéressantes, telles Art021 et West Bund Art & Design Fair à Shanghaï. L’absence de taxes permet à Hongkong d’avoir un gros mouvement commercial, avec des maisons de ventes et des foires puissantes. Il n’y a pas de musées mais le M va arriver et il y a quelques initiatives privées. Singapour est de qualité, mais pas encore stimulante, on attend. L’Indonésie va changer grâce à quelques personnes qui s’investissent ; le mouvement est lent, mais sûr, et je pense qu’à terme des Indonésiens vont créer des choses intéressantes et différentes, il faut nous laisser encore un peu de temps.
Croyez-vous que tant la créativité que la visibilité de l’art contemporain se soient accrues en Asie ?
La visibilité s’est accrue, et Art Basel Hong Kong et de nombreux musées lancés par des fondations (y compris le nôtre), vont dorénavant en engendrer de plus en plus. Concernant la création je crois que nous avons besoin de temps. C’est pourquoi nous amenons [en Chine] beaucoup d’œuvres occidentales, afin de les montrer et créer une sorte de « big bang ». L’un de nos propos est de lancer un défi aux artistes locaux, de leur faire comprendre qu’ils ne doivent pas rester enfermés dans leurs hangars pour créer, mais sortir. Mais je collectionne toujours beaucoup d’art contemporain chinois, de jeunes artistes que je veux aider tout en soutenant aussi de jeunes galeries qui me plaisent. Je les sélectionne très sévèrement et n’achète pas dans celles qui n’ont pas bonne réputation, car les galeries sont très importantes pour les jeunes artistes et ils grandissent ensemble.
Pensez-vous que l’image de l’Indonésie soit ternie après la récente exécution d’étrangers impliqués dans des affaires de drogue ?
Je ne souhaite pas commenter quoi que ce soit de relatif à la politique : pour moi, il s’agit de quelque chose de vraiment tragique, mais cela relève d’une politique gouvernementale. C’est une loi nationale que je ne peux pas critiquer en tant que citoyen indonésien, mais en même temps, en tant que chrétien, je dois être d’accord avec la Bible qui stipule que vous ne pouvez pas faire cela, il est donc très difficile d’avoir un jugement.
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Budi Tek : « Les jeunes artistes chinois sont trop conservateurs »
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Abonnez-vous dès 1 €Budi Tek. © Photo : JJYPHOTO.
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Budi Tek : « Les jeunes artistes chinois sont trop conservateurs »