Entre la première Exposition universelle de l’histoire et celle qui s’ouvre aujourd’hui à Milan, le principe de l’exposition n’a pas vraiment changé.
En ce 1er mai 1851, premier anniversaire du prince Arthur, son troisième fils qu’elle tient dans ses bras, la reine Victoria inaugure la « Great Exhibition of the Works of Industry of all Nations », qui sera considérée comme la première « Exposition universelle » de l’histoire, sous le ciel partiellement nuageux de Londres. Un tableau de Winterhalter porte cette date pour titre. Il montre le prince Albert, commissaire général de l’exposition, observant avec émoi l’immense Crystal Palace conçu par Joseph Paxton, serre de fonte et de verre d’une surface de 74 000 m2, symbole d’une Angleterre dont l’empire et le génie technique dominent le monde. Dans son discours prononcé à l’entrée du monument installé dans Hyde Park, la reine se félicite : délaissant la guerre, les nations s’observent et s’étudient avec bienveillance, par progrès interposés.
En coulisses, l’exposition a été montée à la hâte, en à peine plus d’un an. En 1849, Henry Cole, intellectuel proche du prince Albert, vient à l’Exposition nationale de produits de l’industrie agricole et manufacturière de Paris pour en étudier le fonctionnement. La France, nettement plus protectionniste, n’y a pas convié les industriels anglais, jugés trop prompts à s’inspirer des innovations de l’Hexagone. Deux ans plus tard, avant de confirmer sa présence à Londres, elle demande d’ailleurs aux parlementaires britanniques une loi de protection des secrets industriels !
Confiance en l’avenir
C’est donc face à un voisin français sceptique mais présent, sur l’initiative d’industriels mais avec l’appui diplomatique de la Couronne, que les Anglais invitent le « monde » (qui se résume alors aux empires coloniaux belges, français, auxquels s’ajoutent les États-Unis). Ils seront 14 000 exposants individuels à se côtoyer et se succéder en 141 jours, au sein des 7 hectares et 92 000 mètres carrés d’expositions (avec les mezzanines), de l’humble artisan à l’industriel reconnu.
Le contexte qui voit l’Exposition universelle accéder au rang de rendez-vous mondial est celui de la seconde révolution industrielle, du libre-échange en germe dans la doctrine occidentale. L’apogée des empires coloniaux britannique et français et les progrès de la mécanisation tressent des lauriers de confiance en l’avenir, sur lesquels les nations se reposent pour séduire 40 000 visiteurs quotidiens. Le dimanche excepté, on déambule dans les allées que domine la grande fontaine de cristal centrale. De rares orchestres distraient les familles venues voir les machines. C’est le règne de la vapeur et de la machine, pour l’usage industriel mais aussi domestique (plier les enveloppes, rouler les cigarettes) et agricole (battre le grain, écraser la canne à sucre). Tout Londres est là. Gallois et Écossais ont profité de l’avènement du rail pour rejoindre la capitale. Un certain Thomas Cook, agent des chemins de fer, parie sur le transport ferroviaire dans une logique touristique et propose aux ouvriers un prix réduit pour les groupes. Les étrangers venus en bateaux remplissent les hôtels, puis la population est mobilisée pour offrir les chambres disponibles chez l’habitant.
L’exposition de 1851 est un succès intellectuel et politique : célébrant la paix dans le monde et la grandeur de l’Angleterre, elle donne à voir le progrès technique, avec pour point d’orgue, le 29 septembre, la première communication télégraphique internationale, entre la France et l’Angleterre. Elle est enfin un succès commercial, pour les exposants (on y fait des affaires) comme pour les organisateurs. Le prince Albert consacre les bénéfices de l’événement à l’érection d’un conservatoire des arts et métiers, qui deviendra le musée de South Kensington. Cette réussite marque le début d’un mode d’exposition souvent discuté mais pérenne, dont le dernier avatar s’ouvre cette semaine à Milan.
En ce 1er mai 2015, on boucle les finitions de l’ossature de bois du pavillon français. L’ouvrage italien, conçu pour survivre à la manifestation, se termine aussi à la hâte, presque « miraculeusement ». Le mot est de Matteo Renzi, chef du gouvernement italien. C’est sous une pluie fine toute londonienne qu’il inaugure le site de 111 hectares, entouré d’un cours d’eau artificiel, au nord-ouest de la ville. Près de la moitié des 20 millions de visiteurs attendus ont déjà acheté leur billet en ligne. Le site Airbnb, les hôteliers, le nouveau métro milanais, les systèmes de transport entre particuliers…, tous ont prévu une activité exceptionnelle durant les 181 jours d’expositions et d’événements autour du thème « nourrir la planète, énergie pour la vie ».
Giuseppe Sala, commissaire général désigné par le gouvernement italien, aura le privilège de superviser la première Exposition universelle intégralement équipée en très haut débit, et dont les pavillons auront théoriquement été conçus et réalisés avec un bilan carbone neutre. Il a demandé aux exposants venus de 145 pays de répondre à une question d’ordre malthusien que le XIXe siècle avait fait naître : comment le progrès technique peut-il rendre notre planète durablement autosuffisante ? Le format de l’Exposition universelle reste, 164 ans après sa naissance, un emblème de la croyance dans le progrès.
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En 1851, la reine Victoria accueille un monde avide de progrès
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : En 1851, la reine Victoria accueille un monde avide de progrès