PARIS
La première et magistrale rétrospective consacrée en France à l’inconvenante artiste italienne (97 ans) offre une vision panoramique d’un travail jusque-là connu en pointillé.
PARIS - « L’histoire de Carol Rama, c’est aussi l’histoire de cet art italien refoulé et alternatif, une histoire à réécrire et à raconter, radicalement différente et sincère, radicalement complexe et complète, radicalement fascinante. » Ainsi s’exprime Andrea Viliani, directeur du Madre à Naples, dans les pages du catalogue de la formidable rétrospective dévolue à Carol Rama, présentée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en provenance du Macba de Barcelone.
Née en 1918 à Turin, l’artiste est en effet passée à travers les mailles du filet de l’historiographie artistique de la péninsule, et ce malgré une production très ample en nombre et particulièrement variée, même si – et l’exposition le montre avec des incursions d’œuvres venant briser la chronologie – reviennent fréquemment certaines préoccupations. Son œuvre, il est vrai, est inclassable et échappe à toutes les tendances, tout comme le personnage qui semble avoir eu sa vie durant le dessein de se poser en contre du moralisme et de l’étroitesse de vue d’une bourgeoise catholique dont elle était issue. Elle affirme cette opposition en assumant une véritable passion pour la peinture, ainsi qu’elle l’indiquait lors d’un entretien en 1996 : « Je peins par instinct et je peins par passion. Et par colère et par violence et par tristesse. Et par un certain fétichisme. Et par joie et par mélancolie mêlées. Et surtout par rage. »
La rage passe par une évidente gourmandise à choquer, qui dès l’orée de sa carrière se traduit par une mise en scène sans fard de la sexualité. Au début du parcours, un tableau dessine en aplats rouge sang le corps d’une femme en train de se masturber (Masturbation) ; en 1944, venant d’une femme, il fallait oser. Dès la fin des années 1930 et tout au long de la décennie suivante sont produites une multitude d’aquarelles dénuées d’ambiguïtés dans lesquelles, en plus de la sexualité (y compris la zoophilie) et du fétichisme, s’expose une fascination crue pour une anatomie fragmentée, à travers la figuration récurrente de prothèses et d’accessoires notamment. Ce découpage semble amorcer un mouvement de va-et-vient constant entre abstraction et figuration pendant le reste de sa carrière.
Compositions provocantes
Les années 1950 la voient ainsi pencher vers l’art concret, avec ce qui apparaît comme étant le moins pertinent et novateur de sa production, mais où elle parvient toutefois à développer une sorte d’abstraction quelque peu musicale, un peu lisse et plate néanmoins. Car pour le reste, l’art de Carol Rama est truffé d’aspérités, ce qui n’est pas pour déplaire. Bien que connectée à la vie sociale et culturelle de son époque – elle entretient des rapports étroits avec l’architecte Carlo Mollino et le poète Edoardo Sanguineti par exemple –, l’artiste continue d’affirmer sa singularité avec des visions violentes prenant des formes singulières. Intitulée « Bricolages », une série de travaux des années 1960 laisse l’informe régner en maître, comme autant de commentaires sur les soubresauts violents de l’époque. S’agrègent à la surface de petits objets venant en complexifier substance et lecture,
des petits yeux en plastique souvent, ou plus raides encore un groupe de seringues avec leurs aiguilles (Les Seringues, 1967), ou de la fourrure animale engluée dans de la peinture dorée (Le tagliole, 1966).
L’usage d’objets, parfois seulement figurés mais présents dès les années 1940, devient concret avec un large corpus d’œuvres qui, à partir des années 1970, sont construites avec des morceaux de chambres à air de vélo, alternant formes molles et géométrie minimale, qui voient se mélanger évocation du féminin et du masculin. Tout en restant abstraites certaines touchent parfois au concret, lorsque, par exemple, déployant des tracés évoquant des pis de vaches, elle sont directement inspirées par la crise sanitaire provoquée par la maladie de la vache folle.
À un journaliste qui en 1988 lui demanda « C’est quoi pour vous la pornographie ? », cingla la réponse : « La pornographie, c’est de poser des questions stupides comme vous le faites ! » Radicalement fascinante en effet !
Commissaire : Anne Dressen
Nombre d’œuvres : 230
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Carol Rama, une indigne majesté
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 12 juillet, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h, entrée 7 €. Catalogue éd. Paris Musées, 272 p., 40 €.
Légende photo
Masturbazione, 1944, Collection privée. © Photo Dario Tettamanzi © Archivio Carol Rama Torino
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°434 du 24 avril 2015, avec le titre suivant : Carol Rama, une indigne majesté