François Pinault reçoit à son tour à Venise l’artiste pour une rétrospective ample et imposante qui flatte ses œuvres historiques, mais donne trop à voir ses œuvres récentes peu engageantes.
VENISE - À peine a-t-on quitté Martial Raysse au Centre Pompidou l’année dernière, qu’il refait surface au Palazzo Grassi à Venise. Toutefois, plus qu’à des retrouvailles, c’est à une redécouverte qu’on est convoqué. De fait, la Fondation Pinault, qui entretient des liens privilégiés avec l’artiste, n’a pas fait les choses à moitié. Sur les 350 travaux présentés ici, seulement une centaine fut visible à Paris. Plus important, le parcours n’est pas chronologique, mais propose des rapprochements entre des réalisations qui font appel à des techniques différentes (dessins, peinture, collages, assemblages, installations, films). Pari payant, car l’exposition a un côté jouissif, qui s’accorde bien avec l’esprit pop de la production plastique de Raysse. Pari risqué, toutefois, car certaines de ces rencontres mettent en évidence la qualité inégale de l’œuvre.
À l’entrée, donnant sur le canal, America, America (1964) est une version rayssienne de la statue de la Liberté en néon. Fascination et dérision face à cet emblème des États-Unis, le pays d’adoption de l’artiste pendant de longues années. Puis, au rez-de-chaussée de ce bâtiment imposant, dix vitrines dans lesquelles sont rangées 95 sculptures (ou plutôt des objets) qui vont de 1958 à 2014. Dans ce cabinet des curiosités, on trouve des « maquettes » pour des œuvres à venir, des bricolages faits de matériaux pauvres, des reliques ou encore des objets « chamaniques », que l’artiste a réalisés sous l’effet des hallucinogènes. Bref, un bric-à-brac aussi universel qu’absurde, un ensemble de « choses » dépourvues de toute valeur d’usage ou d’échange.
Délires à foison
Mais, nous n’en sommes qu’aux hors-d’œuvre car la production, proliférant et protéiforme, se déploie sur deux étages entiers. Dans le menu on trouve les travaux des année 1960, qui ont valu à Raysse sa place dans l’histoire de l’art. Ainsi, Arbre, 1960, un titre ironique pour une « plante » qui fait pousser des bidons en matière synthétique, aux couleurs fluorescentes et clinquantes. Ailleurs, le plat de résistance, la Raysse Beach (1962), un environnement délirant qui met en scène des éternelles vacances. Une « plage » de sable, jonchée de jouets gonflables, de bouées en plastique, de serviettes et de parapluies, entourée des photographies rehaussées de peinture vinylique de baigneuses aguichantes. Sur le côté, un juke-box complète l’ambiance d’un paradis artificiel qui n’a rien à envier aux travaux des artistes du pop art américain.
Comme ses confrères, Raysse fait appel aux images extraites des magazines, avant tout des jeunes femmes, son sujet favori. Ces « portraits » manipulés permettent à l’artiste un jeu avec les stéréotypes de la féminité (une bouche peinte en rouge, un œil maquillé en noir, un ovale parfait). Inventif, le peintre introduit des matériaux imprévisibles : photographie greffée de néon (Peinture à haute tension, 1965), plumeau collé sur photographie (La Belle mauve, 1962), pinceau avec peinture (Make Up, 1962) ou encore il joue avec le format du cadre et le type du support (Soudain, l’été dernier, 1963). De même, avec Suzanne, Suzanne (1964) Raysse se fait pionnier du multimédia, en projetant un petit film sur un coin de la toile, une manière d’accentuer le caractère voyeuriste de cette œuvre.
Tout va bien dans le meilleur des mondes ? Pas vraiment, car on reste sceptique quant à la qualité de la peinture que fait Raysse depuis une vingtaine d’années. Si l’on peut admettre la pertinence du retour sur la peinture avec ses parodies des images clés de la culture occidentale (Cranach, Ingres, Tintoret), que penser de Tue moi Yasmina (2010) ou Pour te garder, Amandine (2014), un mélange de kitsch et de style pompier ? Comment regarder cette odalisque qui est Délice un peu tendue (2009) dans un style néo-orientaliste ? Comment enfin approcher les sculptures qui reprennent les postures classiques (D’une flèche mon cœur percé, 2008) ? Curieusement, quand l’artiste s’attaque à des groupes, il obtient des compositions dérangeantes, inquiétantes mêmes, des bacchanales grotesques et grimaçantes, des satires amères (Poissons d’avril, 2007). Toutefois, on cherche en vain le véritable sujet avec la toile qui ouvre l’exposition, Pauvre de nous (2008) et celle, la plus récente (Temps couvert à Tanger, 2014). Ironie, postmodernité ? Un peu léger comme argument. Raysse, qui aurait aimé être un écrivain, se prend ici pour un moraliste, mais un moraliste des lieux communs.
Nombreux sont ainsi les travaux qui font appel au kitsch, l’appellation contrôlée de niaiserie. Cette complicité entre l’avant-garde et le mauvais goût promu genre, n’est pas sans danger. À trop manier le second degré, la critique s’approche de la flatterie, la mise à distance frôle la connivence. En dernière instance, il ne reste que les effets de paillettes.
Commissaire : Caroline Bourgeois
Nombre d’œuvres : 350
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Raysse entre pop et kitsch
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 30 novembre, Palazzo Grassi, Campo San Samuele, Venise, Italie, tél : 39 041 27 19 031, tlj sauf mardi 10h-19h, entrée 15 €, cat. éd Marsilio, 504 p., 70 €.
Légendes photos
Vue de la première salle au rez-de-chaussée de l’exposition de Martial Raysse au Palazzio Grassi à Venise. © Fondation Pinault.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°434 du 24 avril 2015, avec le titre suivant : Raysse entre pop et kitsch