Le centre d’art Z33, en Belgique, accueille le laboratoire d’idées de Konstantin Grcic autour de ses préoccupations centrales, de la maison à l’espace public.
HASSELT - Tout designer en charge de montrer son travail doit relever ce défi : que la scénographie ne ressemble pas à un showroom. Rares sont ceux qui réussissent. L’Allemand Konstantin Grcic y parvient haut la main avec cette exposition baptisée « Panorama », conçue en collaboration avec le Vitra Design Museum de Weil-am-Rhein (en Allemagne) et déployée dans le centre d’art Z33, à Hasselt, en Belgique. Au lieu d’un inventaire « clinique », sinon chronologique, le designer a opté pour un parcours ciselé en trois grandes sections illustrant autant de ses problématiques majeures : la maison, l’espace de travail et l’espace public. Résultat : c’est davantage la réflexion qui est mise en avant que les meubles et objets en tant que tels.
D’entrée de jeu, Konstantin Grcic bouscule la traditionnelle domesticité avec un Living Module, sorte de « module de vie » en kit destiné au quotidien de demain d’un individu de plus en plus urbain. Une peinture d’Antonello de Messine a inspiré ce projet : celle de Saint Jérôme dans son cabinet de travail, autrement dit la cellule monastique. Son « module », d’une surface réduite en regard d’une population urbaine en augmentation, ne comporte ni cuisine ni salle de bains, le designer, un brin provocateur, considérant que dans un futur proche ces deux activités pourraient avoir lieu hors les murs. Son Homo Urbanus prendra ses repas au restaurant et fera sa toilette dans son club de sport. Chez lui, en revanche, il pourra recevoir ses amis, d’où cette immense table haute, et aura le choix de se connecter au monde, dans son espace de travail, ou pas, dans sa zone de relaxation entièrement isolée. On lit, ici, la quête d’un équilibre entre intimité et technologie ultra-fonctionnelle. Grcic réfléchit, en outre, en termes de connexion et de flux énergétiques (eau, électricité, chauffage…). Fonctionnant grâce à un système de « Plug-in », ce « module » aisément transportable peut être installé dans des bâtiments existants (mais vides).
Du virtuel au tangible
Une deuxième salle accueille les recherches sur l’« Espace de travail ». Sur un vaste podium à double niveau sont disposées des créations à différents stades de fabrication : de la maquette en polystyrène jusqu’au produit fini, en passant par le prototype en aluminium moulé. S’y trouvent moult sièges (édités par Emeco, Flötotto, Magis…). Côté scénographie, la salle arbore une étrange paroi rocheuse, souvenir d’un lieu de travail insolite que Grcic a découvert à Stockholm : les bureaux d’un fournisseur Internet logés dans un ancien… abri anti-atomique. Le designer évoque le paradoxe de cet espace, à la fois caché plusieurs mètres sous terre et relié à la planète entière. Tout comme est paradoxal le métier de designer, perpétuellement en train de jongler entre nouvelles technologies : objets dessinés avec des logiciels, maquettes produites par des imprimantes 3D, données partagées via des plateformes en ligne, blogs et forums utilisés pour conduire les recherches… et « méthodes tangibles » : maquettes à l’échelle un, échantillons de matériaux, savoir-faire des fabricants, livres. « Les algorithmes pourront-ils bientôt remplacer la part humaine de créativité ? », questionne Grcic.
La troisième grande section, celle sur la ville, se déguste aussi sous forme d’interrogation : comment s’approprier l’espace public ? On y reconnaît des pièces que le designer a conçues pour l’extérieur, tels le siège Chair One (Magis, 2004), au pied de béton, ou ce drôle d’objet baptisé Landen (Vitra, 2007), assise métallique pour jardins publics. En arrière-plan se déploie une image panoramique fictive intitulée Panorama, conçue par l’artiste conceptuel anglais Neil Campbell Ross, « un monde qui navigue entre réalité et fiction, présent et futur, utopie et dystopie ».
Cerise sur le propos, s’ajoute, à ces trois grandes parties, un quatrième et ultime volet dans lequel Grcic dévoile un peu de lui-même. Il raconte son bureau, ses goûts, ceux qui l’inspirent (El Lissitzky, Marcel Duchamp…), montre quelques-uns de ses premiers projets, comme Red/Green, lampe de table à deux diffuseurs. Pour Grcic, si « le futur ne peut pas être planifié, [car] c’est un processus organique et chaotique », en revanche, « nous pouvons l’influencer et contribuer à le modeler, et le design prouve qu’il est un outil utile pour y arriver ». À 50 ans tout juste, Grcic est décidément l’un des créateurs les plus captivants de la planète design.
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L’espace d’un urbain
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 24 mai, Z33, Maison de l’art contemporain, Zuivelmarkt, 33, Hasselt, Belgique, tlj sauf lundi 11h-18h, dimanche 14h-17h
www.z33.be
Catalogue, éd. Vitra Design Museum, 320 p. 69,90 €
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : L’espace d’un urbain